Néron
jouait habilement l’humble épouse aux yeux baissés, à la démarche lente, et, près d’elle, le visage réjoui, l’empereur paraissait être le maître conduisant à l’autel une jeune femme vertueuse.
Derrière leurs parents se tenaient les futurs fiancés, Octavie et Lucius Domitius, comme si déjà s’esquissait la succession et s’incarnait le rêve d’Agrippine.
Le soir des noces, j’ai appris que Junius Silanus s’était suicidé.
La mort était bien l’alliée d’Agrippine.
8
Agrippine régnait.
Dès le lendemain des noces, elle était apparue, couronnée, enveloppée d’une ample et longue tunique brodée d’or. Et la foule des sénateurs, des tribuns et des consuls, des titulaires de places pour toutes les manifestations, des centurions de la garde prétorienne, des chevaliers, des riches affranchis et même les ambassadeurs de l’Empire parthe s’étaient inclinés devant elle tandis qu’elle s’avançait, accompagnée de son fils, dans la grande salle des audiences et des réceptions du palais impérial.
Il avait donc suffi d’une nuit pour qu’elle laissât tomber le masque et montrât à tous qu’elle ne se contentait pas d’être devenue l’épouse de l’empereur, mais qu’elle voulait tout le pouvoir pour elle et son fils.
Il était beau, Lucius Domitius, ses longs cheveux blonds bouclés encadrant son visage aux traits réguliers qu’il levait vers sa mère.
Agrippine avait posé une main sur sa nuque et le guidait ainsi, l’arrêtant devant tel sénateur influent ou le consul désigné Pollion dont on murmurait déjà qu’elle l’avait chargé de présenter au Sénat une motion aux termes de laquelle les sénateurs, ces pères de la Patrie, prieraient l’empereur de fiancer au plus vite sa fille Octavie au fils d’Agrippine.
On ne se souvenait déjà plus de Junius Silanus qui s’était ouvert la gorge le jour des noces d’Agrippine et de Claude et dont on avait sans cérémonie livré le corps aux flammes. Quant à sa sœur Calvina, on l’avait bannie.
L’empereur avait ordonné que, conformément aux lois, les pontifes célèbrent au bois de Diane des cérémonies expiatoires et accomplissent des sacrifices pour implorer le pardon des dieux afin qu’ils s’abstinssent de châtier l’inceste commis par Junius Silanus et sa sœur Calvina.
On n’osait rire !
Rien ne prouvait que cette liaison coupable eût eu lieu, alors que l’empereur épousait sa propre nièce, perpétrant à la face de l’Empire un inceste qu’un décret des sénateurs corrompus avait suffi à rendre licite.
Mais qui eût osé protester ?
Tous baissaient la tête devant Agrippine et son fils, bientôt gendre de l’empereur. Tous la nommaient Augusta, ainsi qu’elle l’avait voulu pour marquer qu’elle était, au même titre que son époux, descendante d’Auguste, qu’elle en avait la dignité et le pouvoir.
Et Claude auprès d’elle ne paraissait déjà plus qu’un homme vieilli dont la claudication, jusqu’alors passée inaperçue, semblait l’obliger à chaque pas à plier le corps, à se déhancher comme si, en quelques nuits, Agrippine s’était emparée de ce qu’il conservait de jeunesse et d’élégance en même temps qu’elle le dépouillait de son pouvoir.
J’ai fait part à mon maître Sénèque de mes pensées et de mon indignation. Il était rentré de son exil corse depuis quelques jours, gracié par l’empereur à la demande d’Agrippine.
Il m’avait remercié de ce que j’avais fait pour lui. Je n’avais fait qu’obéir à Agrippine, manifestant ainsi que j’étais à ses côtés et que le maître que je vénérais et auquel j’obéissais était donc lui aussi de ses partisans.
Sénèque était heureux de se retrouver enfin à Rome et de pouvoir jouir du luxe de sa villa. Il y recevait ses amis, entouré de son frère aîné Gallion et du cadet de la famille, Mêla. Il s’inclinait devant le buste de son père, Sénèque le rhéteur.
Les sénateurs le complimentaient d’avoir été désigné comme préteur, chargé aussi d’élever et d’instruire le fils d’Agrippine-Augusta dont chacun avait déjà compris que sa mère entendait le préparer aux plus hautes charges de l’Empire. Et que, pour elle, une seule comptait : l’impériale.
J’observais Sénèque. Quoique amaigri après ce long exil dans la rudesse d’une île pauvre, son regard pétillait de vivacité. Je savais, pour connaître et admirer sa
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