Néron
tête.
— Il faut que l’empereur châtie Lollia, reprenait Agrippine. Avertis-le que cette femme forme des projets dangereux pour l’État et qu’il faut lui ôter les moyens de ses crimes.
Pallas quittait la pièce à reculons, répétant qu’il allait de ce pas parler à l’empereur.
Quelques jours plus tard, le Sénat décrétait la confiscation de tous les biens de Lollia et son bannissement d’Italie.
Mais ce n’était pas assez pour Agrippine.
J’ai ainsi appris qu’un tribun et des prétoriens avaient quitté Rome pour la Gaule où Lollia s’était exilée. Ils étaient chargés de la contraindre à se tuer.
À Rome, tout pliait devant Agrippine.
Pallas venait chaque jour recevoir les ordres, chien couchant auquel elle offrait son corps en guise de récompense suprême.
Elle exigea, peu après, qu’une autre femme, Calpurnia, l’une des courtisanes de Claude, fut bannie parce que l’empereur avait loué jadis sa beauté et que c’était là offenser Agrippine, devenue l’épouse.
Mais le bannissement n’était qu’un moyen de tuer loin de Rome. Quand le meurtre s’accomplissait, les sénateurs et l’empereur avaient déjà oublié la victime. En revanche, Agrippine veillait à ce que les prétoriens chargés de poursuivre les proies et de les saigner lui rapportassent la preuve du trépas des coupables. Elle faisait glisser entre ses doigts le bracelet ou la bague qui leur avait appartenu. Elle voulait savoir comment ils étaient morts. Avaient-ils eu le courage de se trancher la gorge, de s’ouvrir les veines, ou bien avait-il fallu les tuer d’un coup de glaive ?
Elle écoutait, les yeux fixes. Et, durant quelques jours, apaisée, elle allait assister aux leçons que Chaeremon et Sénèque donnaient à son fils.
Je me tenais debout dans la pénombre de cette pièce. J’étais surpris par l’attention dont témoignait cet enfant de douze ans, par la pertinence et l’intelligence de ses questions.
Chaeremon, qui avait écrit une Histoire d’Égypte et plusieurs traités sur la religion de cette province, lui parlait du dieu Soleil. Lucius Domitius l’interrompait, lui remontrait fièrement qu’il était né lui aussi du Soleil, comme un pharaon.
Puis Sénèque, d’une voix douce et lente, dressait le portrait d’un prince bon qui devait croire à l’immortalité de l’âme, écouter sa raison et non pas ses désirs.
Agrippine l’interrompait, se plaçait près de son fils. Elle ne voulait pas, disait-elle, qu’on enseignât à Lucius Domitius la philosophie, les croyances venues d’Orient, cette morale d’esclaves ; son fils ne devait pas devenir un adepte de ces religions ni de ces sectes qui prétendaient que les hommes, quelle que fut leur condition, qu’ils fussent descendants des dieux, empereurs, esclaves ou affranchis, avaient semblablement une âme immortelle.
— Imagines-tu, Sénèque, que les esclaves crucifiés par Crassus, que ceux pourchassés par mon ancêtre César aient possédé une âme ?
Elle avait, disait-elle, exigé de Claude qu’il bannisse de Rome les sectes juives dont les disputes troublaient la ville. Moïse ou encore ce Christos dont certains Juifs se réclamaient n’avaient pas droit de cité dans la plus grande ville du monde, tête et cœur de l’État universel, l’Empire.
Elle s’éloignait, se retournait. Elle ne voulait pas, répétait-elle d’une voix menaçante, qu’on enseignât la philosophie et la sagesse à son fils, mais seulement l’art de la parole afin qu’il devînt le plus illustre orateur de Rome.
Elle hésitait, puis ajoutait :
— Il sera fils d’empereur.
Elle était donc si sûre d’elle-même qu’elle ne dissimulait plus son projet.
Je la voyais s’approcher du fils de Claude et de Messaline, cet enfant de huit ans, Britannicus, aux grands yeux attentifs, au long cou et à la peau diaphane.
Elle le caressait du bout des doigts, l’effleurait de ses voiles. Je les voyais noirs, comme ceux de Locuste l’empoisonneuse. Mais elle se penchait, l’embrassait, lui murmurait que Lucius Domitius serait pour lui comme un frère de quatre ans son aîné qui le protégerait.
Puis elle se tournait vers Pallas, l’entraînait, et c’est Sénèque qui me révélait qu’elle avait chargé l’affranchi d’obtenir du Sénat un vœu aux termes duquel une adoption du fils d’Agrippine par l’empereur viendrait compléter les fiançailles d’Octavie et de Lucius Domitius. Il
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