Néron
un histrion oublieux de sa dignité qui pervertissait Rome avec ses folies grecques et orientales.
Lorsque, d’un geste, il renvoyait ces jeunes débauchés et qu’il commençait à chanter, je l’applaudissais aussi fort qu’un Augustianus ou un néronien. J’étais alangui, ivre de jouissance, et je remerciais ainsi cet empereur qui était le généreux ordonnateur de cette fête du plaisir.
Il appelait près de lui, au pied de l’estrade, des poètes et des musiciens dont le talent et la beauté étouffaient les quelques relents de conscience qui parfois venaient encore me troubler.
J’appréciais surtout Pétrone.
C’était un homme jeune, quoi qu’il eût occupé déjà des charges publiques où il avait, disait-on, excellé.
Il racontait d’une voix ironique des histoires de satyre, et je jalousais son talent.
Je riais des malices de l’un de ses personnages, séduisant et pervers, le jeune Giton qui faisait naître la jalousie de ses amants, les abandonnait, les retrouvait, se jouant d’eux avant de leur offrir son corps.
Pétrone se moquait aussi avec une verve féroce de ces affranchis riches et vulgaires qui organisaient des banquets pour se persuader qu’ils étaient enfin des hommes libres et respectés, mais dont le ridicule et la grossièreté se révélaient dans chacun de leurs gestes et de leurs paroles.
Néron paraissait aimer ce Satyricon, cette description d’orgies et de vices. Et je quittais le palais vacillant, appuyé parfois au bras de Sénèque, entourés par nos esclaves, le désir ravivé par la silhouette élancée de l’un d’eux et les invites que ses yeux me lançaient.
Puis il y avait le réveil, la tête lourde, le corps las, le sentiment que ma vie m’échappait comme le vin d’une amphore brisée, et qu’il ne restait au fond, comme disait Sénèque, que la lie.
Mon regard changeait.
Les esclaves qui, autour de moi, s’affairaient en silence, leurs pas semblant à peine frôler les dalles de marbre, je les voyais à présent comme des hommes et des femmes, et non plus seulement comme des outils capables de me servir et de me donner du plaisir.
Nous les reconnaissions bien comme appartenant à notre espèce, puisque nous affranchissions certains d’entre eux. Et ceux-là devenaient riches, puissants, administraient le palais impérial.
Je m’interrogeais sur le destin et les dieux qui décidaient que les uns échappent à leur condition servile et que les autres ne disposent d’aucun droit.
Je me souvenais en particulier de Nolis, le régisseur de ma villa de Capoue, un affranchi, un homme si vieux qu’il avait connu Gaius Fuscus Salinator, ce préteur de Crassus, qui avait, au temps de César, combattu dans la guerre de Spartacus ; il avait fait le récit de ces affrontements sauvages et du châtiment infligé aux rebelles, dont six mille avaient été crucifiés entre Capoue et Rome, le long de la via Appia.
J’étais dans ces dispositions d’esprit quand j’appris que le préfet de la ville, Pedanius Secundus, un ami de Sénèque, avait été assassiné par l’un de ses esclaves.
J’ai accompagné Sénèque à la villa où le crime avait été perpétré. Des soldats gardaient plusieurs centaines d’esclaves déjà enchaînés, recroquevillés les uns contre les autres, les femmes serrant leurs enfants contre elles, les hommes la tête rentrée dans les épaules, tous entassés, assis à même le sol, dans une pièce que la pénombre envahissait.
Je me suis promené avec Sénèque dans le parc de cette somptueuse demeure construite sur les pentes de l’Aventin.
Pedanius était riche et honoré. Il possédait, me dit Sénèque, plus de quatre cents esclaves et des dizaines d’affranchis. Le meurtrier, qu’on avait déjà torturé puis abattu, avait sans doute été jaloux de son maître qui lui avait ravi son amant, un jeune garçon – un Giton, avais-je dit, me souvenant du Satyricon de Pétrone.
Et j’avais imaginé ce Giton excitant la jalousie de son amant esclave, aguichant le maître, si heureux de le séduire. Mais peut-être aussi celui-ci avait-il promis à l’esclave de l’affranchir et avait-il été payé pour cela, puis, parce qu’un maître à tous les droits, avait-il changé d’avis, gardant l’argent et ajoutant à cette forfaiture le rapt du Giton ?
Et l’esclave rendu fou avait tué le maître.
Alors que nous traversions les grandes salles de la villa, que nous découvrions fresques et statues,
Weitere Kostenlose Bücher