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Néron

Néron

Titel: Néron Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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du fourreau brillant dans la nuit éclairée par les torches.
    J’ai entendu les gémissements des esclaves, le piétinement de leur troupeau. J’ai deviné leurs corps entravés qui s’approchaient.
    J’ai fui pour ne pas voir leurs visages.
    Ils n’étaient point d’abord esclaves, mais hommes, comme moi.
    Cette évidence nouvelle m’a aveuglé.
    Et, pour la première fois de ma vie, j’ai pleuré sur le sort d’inconnus, tout simplement parce qu’ils étaient des hommes qui allaient injustement mourir.

 
     
28
    Ces esclaves suppliciés m’ont hanté.
    J’ai tenté en vain de les chasser de mon esprit.
    Je ne comprenais pas les raisons de mon émotion et du désespoir qui m’accablait : n’avais-je pas toute ma vie profité de leur soumission, abusé de leurs corps ? ne les avais-je pas considérés moi aussi comme des outils parlants, des sortes d’animaux domestiques à visage humain ?
    Et, depuis l’origine du monde, n’avait-il pas toujours existé des esclaves, plus nombreux et plus utiles que les chiens ou les chevaux, leur présence innombrable permettant aux hommes que les dieux et le destin avaient choisis, d’échapper au travail des mines, au dur labeur des moissons, à toutes ces besognes serviles sans lesquelles les galères ne pouvaient avancer, les armes être forgées, le grain moulu, le raisin vendangé et pressé, les villas construites, les vêtements tissés, les amphores et les tuiles façonnées et cuites ?
    Pourquoi et comment concevoir un autre monde ?
    Et puisque, dans l’empire de Rome, pour un citoyen il y avait au moins neuf esclaves, il fallait bien qu’on empêchât cette foule servile de se révolter, qu’on la domptât comme on fait d’une monture, d’un fauve !
    Et pour avoir lu le récit de la guerre de Sparta-cus écrit par Gaius Fuscus Salinator, l’un des ancêtres de ma famille, je savais que lorsque les esclaves se rebellaient, ils saccageaient, détruisaient, violaient, tuaient, brisaient les statues, incendiaient villas et moissons.
    Leur monde était plus sauvage que le nôtre. Il n’y avait plus pour eux ni lois ni limites. Villes et campagnes devenaient tout entières des arènes où les hommes étaient livrés aux fauves.
     
    Le châtiment et la terreur étaient donc nécessaires. Sénèque, mon maître en sagesse, l’avait dit.
    Et au Sénat, avec force et rigueur, dénonçant la trahison de l’esclave criminel qui avait assassiné Pedanius Secundus, préfet de la ville, Gaius Cassius Longinus avait insisté sur les périls qui résulteraient de l’indulgence accordée aux autres esclaves de la maison.
    — Qui sera protégé par le nombre de ses esclaves alors que quatre cents d’entre eux n’ont pas sauvé Pedanius Secundus ? avait demandé Gaius Cassius Longinus. Qui sera secouru par les gens de sa maison qui, même par peur, ne peuvent détourner de nous les périls ?
    Il fallait donc condamner et tuer ces esclaves, hommes, femmes, enfants.
     
    J’ai cent fois repris ces arguments dans ma solitude nocturne.
    J’ai répété les mots de Platon que Sénèque avait cités : « Les esclaves sont une propriété bien difficile. »
    Les maîtres grecs n’y avaient pourtant jamais renoncé.
    Tout cela aurait dû me convaincre et m’apaiser. Au contraire, j’étais accablé, incapable de trouver le sommeil.
    C’était déjà l’aube.
    Je me suis levé. J’ai quitté la villa et, dans les rues encombrées par les charrois et la foule des esclaves courbés sous leur faix ou portant des amphores, j’ai marché vers le forum Boarium.
    Là, les quatre cents esclaves de Pedanius Secundus avaient été suppliciés.
     
    Au fur et à mesure que je me rapprochais de ce quartier où coulait la Cloaca maxima qui recueillait les eaux putrides de la ville, j’ai remarqué des groupes d’hommes et de femmes – celles-ci souvent enveloppées de voiles noirs – qui se dirigeaient eux aussi vers le forum Boarium.
    Ils avançaient serrés les uns contre les autres, les visages graves mais paisibles.
    Ils murmuraient une sorte de mélopée accordée à leur lente démarche. Leurs mains étaient jointes, placées devant leurs lèvres.
    J’ai pensé qu’il s’agissait de juifs.
    Sénèque, qui les méprisait, assurait qu’ils corrompaient Rome, qu’ils étaient chaque jour plus nombreux dans la ville, peut-être l’équivalent de l’effectif de cinq ou six légions. Ils se déversaient avec leur religion comme si une cloaca

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