Néron
maxima les portait jusqu’ici.
Ils avaient leurs entrées au palais de l’Empereur, Poppée les défendait ; peut-être elle-même était-elle juive. Néron l’écoutait, oubliant qu’en Palestine, à Jérusalem, leurs bandes fanatiques, les Sicaires, harcelaient les troupes romaines, cependant que leurs prêtres, ces prétentieux rabbins, tentaient d’imposer leur loi au procurateur de Rome.
J’ai dépassé ces groupes et, au bout de quelques centaines de pas, j’ai découvert, derrière une ligne de soldats, un vaste champ mamelonné sur lequel se dressait la lugubre forêt des croix des suppliciés, et les bûchers qui achevaient de se consumer.
Des femmes et des hommes étaient agenouillés devant les soldats.
Je me suis approché. Dans les fumées qui s’élevaient encore des bûchers.
J’ai deviné les corps enchevêtrés et calcinés des femmes et des enfants. Les hommes, eux, avaient été crucifiés.
Au-dessus des bois les oiseaux tournoyaient.
J’ai reconnu le même murmure que j’avais entendu tout au long de la route.
Un homme aux cheveux longs, maigre, une barbe lui noircissant le visage, allait, effleurant de la main les hommes et les femmes agenouillés.
J’ai croisé son regard dont la lumineuse intensité et la fixité m’ont frappé.
J’étais pétrifié.
J’ai pensé aux six mille croix que Crassus avait fait dresser le long de la via Appia pour marquer sa victoire sur Spartacus.
Combien étaient-elles ici ? Peut-être trois cents.
Et, comme le soleil se levait au-dessus des collines de Rome, j’ai distingué les corps brisés, cloués des esclaves de Pedanius Secundus.
L’homme maigre est venu vers moi et s’est immobilisé à un pas.
— Mon nom est Linus. Je crois au Dieu Christos. Certains de ces esclaves étaient nos frères et sœurs, tous fils de Christos. Notre Seigneur, celui qui a été crucifié et qui est ressuscité des morts. Ceux-là ressusciteront aussi.
Je connaissais la secte de Christos. Le Juif ainsi nommé l’avait créée, puis ses disciples avaient été pourchassés par les prêtres juifs. Au palais, c’étaient les Juifs qui traquaient ses membres.
Ils étaient les « ennemis du genre humain ».
On disait qu’ils empoisonnaient l’eau des aqueducs et des fontaines, qu’ils allumaient des incendies, refusaient les sacrifices en l’honneur de l’empereur et des dieux de Rome.
Ils insultaient les ancêtres du peuple romain et ignoraient les temples et les sanctuaires, ne songeant qu’à les brûler.
On assurait qu’ils étaient capables de tous les crimes, même les plus atroces, allant jusqu’à se nourrir de la chair des enfants.
Leur culte était une sombre superstition, funeste à l’Empire. Et pourtant leur nombre s’accroissait sans cesse.
Le devin Balbilus, astrologue et mathématicien, défenseur de la religion des ancêtres, affirmait qu’ils étaient comme les mauvaises herbes qui repoussent toujours.
Parmi eux il y avait des Juifs convertis à la religion de la secte, mais la plupart des nouveaux adeptes étaient des Romains de la plèbe, des esclaves, et même quelques citoyens appartenant aux familles nobles de la ville.
On murmurait qu’Acté, l’affranchie qui avait partagé la couche de Néron et ses débauches, avait été attirée par cette superstition et qu’elle priait elle aussi Christos.
Les femmes étaient séduites parce que la secte prêchait la chasteté, refusait les perversions, vantait la réserve, le refus des vices et des mœurs nouvelles à la grecque.
On ne les avait jamais vus participer à ces processions qui parcouraient la ville, portant comme un emblème sacré un phallus.
Eux refusaient même la circoncision !
Sénèque avait rapporté que Néron s’inquiétait du développement de cette secte qui refusait de le reconnaître pour le fils d’Apollon, le bienfaiteur de la plèbe, le meilleur des empereurs, qui donnait au peuple de Rome le grain et les jeux et s’offrait à lui pour l’enchanter de sa voix, des accords de sa cithare, de toutes les facettes de son talent. Ces barbares ne croyaient pas au plaisir, à la jouissance, à la « félicité » des temps.
Qui étaient-ils ? Des criminels ! Des immondices qui ne valaient pas mieux que celles que drainait la Cloaca maxima.
Et, cependant, je les voyais agenouillés, sereins malgré ces croix et ces bûchers.
J’entendais leurs prières. Je devinais dans leur murmure le nom de Christos,
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