Néron
dieu crucifié et ressuscité, qu’ils invoquaient. Ils me paraissaient humbles et soumis.
L’homme maigre me dit :
— Tu ignores tout de Notre Seigneur Christos, de son enseignement, des temps qui viennent, de la résurrection qu’il annonce pour tous les morts.
Puis il a élevé la voix :
— Pour Lui, grâce à Lui, nous supportons tous les jours la mort. Nous sommes comme des brebis destinées à la boucherie.
Il a tendu le bras vers les croix et les bûchers.
— Mais nous croyons en Lui et nous serons ressuscités. Le reste n’est rien. Le monde n’est rien. Seul Christos et notre foi existent. Rejoins-nous et tu sauras. La foi en Christos éclairera ta vie.
Tout à coup, dans un élan qui m’a surpris, fait reculer, il a saisi mes bras au-dessus du coude, si proche de moi que j’ai été contraint de détourner la tête pour échapper à ses yeux exorbités.
Mais il m’a empoigné plus durement, comme pour me contraindre à le regarder.
— L’heure est venue de te réveiller ! m’a-t-il dit. Ton salut pour l’éternité est dans les mains de Christos. Prie-le ! Honore-le ! La nuit est passée. Le jour approche. Laisse donc là les œuvres des ténèbres et revêts les armes de lumière. Marche honnêtement, comme il convient de faire en plein jour, non dans les festins et les orgies, les impuretés et la débauche, les disputes et la jalousie.
Rejoins Christos, et prends garde que le soin de la chair ne dégénère en désirs !
Il s’est éloigné de quelques pas, puis, défiant les soldats qui pointaient leurs javelots vers lui, il a crié :
— Prions Christos ! Vos frères et sœurs vont ressusciter ! La nuit est passée, le jour approche !
Il s’est agenouillé un peu à l’écart des autres.
Je suis resté quelques instants au milieu de ces gens que j’avais dépassés le long de la route et qui, au fur et à mesure qu’ils arrivaient, tombaient à genoux, continuaient de chanter, mais un ton plus haut, leur mélopée, semblant ne pas être anéantis, apeurés ou révoltés par la vue de ces croix et de ces bûchers ni par les cris aigus des oiseaux dont certains commençaient à se poser sur les têtes et les épaules des crucifiés pour mieux leur picorer le visage.
L’attitude de ces hommes et de ces femmes, leurs prières me calmaient Le désespoir qui m’avait étreint toute la nuit se dissipait.
Je me suis éloigné, croisant, alors que je me dirigeais vers la villa de Sénèque, des gladiateurs, des gens de la plèbe armés de bâtons qui hurlaient qu’il fallait nettoyer Rome de cette vermine, de ces étrangers sacrilèges qui attiraient les foudres des dieux en colère sur l’empereur, sur la ville et sur le peuple de Rome.
Ils m’ont bousculé, repoussé contre les façades. Leurs visages étaient haineux, leurs yeux égarés, ils criaient leur désir de meurtre.
Il y avait moins d’une nuit, la plèbe avait protesté contre la condamnation et le supplice des esclaves de Pedanius Secundus, et maintenant, sans doute excitée par ces gladiateurs qui obéissaient aux ordres de Néron, elle s’apprêtait à frapper les sectateurs de Christos qui se contentaient de prier au pied des croix et des bûchers pour les esclaves suppliciés.
J’ai eu besoin de raconter à Sénèque ce que j’avais vu et éprouvé.
Je l’ai retrouvé penché sur ses tablettes, mais les paumes à plat sur son écritoire, le stylet posé devant lui.
Les lampes à huile fumaient, épaississant ainsi la pénombre qui, malgré le soleil déjà haut, stagnait dans cette petite pièce retirée, loin de l’atrium et du vestibule.
Sénèque me fit signe de prendre place en face de lui, sur le lit où lui-même habituellement se reposait.
Il arrivait du palais de Néron, à l’issue de l’un de ces banquets où l’on improvisait chants, musique, poésie et scènes d’orgie.
— Notre temps s’achève, me dit Sénèque avant même de m’écouter. Néron est emporté par sa nature. Burrus est peu à peu écarté, comme moi.
Il a ouvert les bras.
— Pourquoi nous désoler ? Quand la mort t’approche, pourquoi la craindre ? Ou bien elle te frappe, ou bien elle passe. Elle ne peut coexister avec toi.
Je l’ai interrompu.
Je lui ai dit que j’avais vu la lugubre forêt des croix et des bûchers, rencontré des disciples de Christos agenouillés, et que j’avais croisé la plèbe et les gladiateurs qui allaient les agresser, les tuer sans
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