Nice
Gustav !
— Parce que vous êtes anglaise, le Parlement, la
Chambre des communes.
— Vous vous imaginez qu’on s’intéresse à vos affaires
de sable, de construction d’hôtel ? disait Helena dans la voiture. Vous
êtes naïf, Gustav.
Et pourtant, depuis qu’elle était enceinte, elle l’écoutait.
Il s’asseyait dans sa chambre, il parlait, sachant qu’elle ne répondrait pas,
il expliquait qu’il allait vendre les derniers immeubles de Vienne, acheter
ici, encore. Il parcourait le pays, se perdant parfois dans d’étroits chemins
qui descendaient, raides, le long des collines caillouteuses, puis il était sûr
que ce que François Blanc avait réussi à Monte-Carlo, il pouvait l’entreprendre
ailleurs, dans la région.
— Ces princes, disait-il, vous Helena, vous êtes ici,
les autres suivront. Cela se passe toujours ainsi. Les gros animaux mangent la
viande, les petits rongent l’os, et ensuite, viennent les insectes. Pour
l’instant, nous en sommes à la viande, je pense à l’os.
Il parlait une ou deux heures, puis il embrassait Helena, la
main, le front, qu’elle ne dérobait pas.
— Vous vous sentez bien ? demandait-il avant de
sortir.
Souvent, elle n’avait pas le courage de se taire.
— Bien, disait-elle seulement.
Mais cette somnolence, cette passivité l’abandonnèrent les
derniers jours. Elle eut à nouveau envie de vomir, le bas-ventre brûlant, lui
échappant, se contractant, et sa respiration suivait ce rythme musculaire, une
douleur, une tension, un souffle. Elle transpirait, refusant d’appeler, mais le
souffle se transformait en cri. Gustav entrait au milieu de la nuit, hurlait :
— Mais pourquoi ne m’appeliez-vous pas, vous voulez
qu’il meure ?
Il sortait en courant. Docteur, sage-femme, compresses
froides sur le front et l’eau glissait dans le cou d’Helena. La clinique Saint-Antoine.
Gustav qui tentait de lui prendre la main et Helena avait un sursaut pour se
dégager. Cette boule vivante, ces piquants dressés, cette boule qui tournait en
elle, c’était lui qui l’avait mise, sans qu’elle le désire. Comme un de ces
marchands qui volent, vendent ce qu’on ne veut pas acheter.
Elle se mordait les lèvres, elle avait le goût salé du sang,
la gorge pleine, s’imaginait-elle, d’un liquide jaune, les yeux, la bouche recouverts
de boue, et elle ne pouvait plus respirer, elle ouvrait la bouche grande, et on
allait écarter ses mâchoires, l’ouvrir, la peau allait se tendre, les joues se
déchirer jusqu’aux oreilles, le sang jaillir, et elle ne pouvait pas vomir.
Au-dessus d’elle, une voix, une main sur son front.
— Respirez lentement, Madame, respirez encore.
Une voix de femme.
— Ne vous inquiétez pas, tout se passe bien.
Vomir, vomir ce qu’il avait laissé. Mais il s’agrippait,
accroché aux yeux, au ventre. Jusqu’aux cheveux qui semblaient s’enfoncer comme
des aiguilles que l’on reprend par le dessous. Un cri, auquel elle mêlait le
sien, une odeur, ce liquide tiède entre ses jambes. On posait sur elle quelque
chose qui bougeait.
— Regardez, regardez-la !
Elle ouvrait les yeux. Elle se sentait sourire devant ce
qu’elle avait imaginé noir, comme une araignée, ou un oursin, et qui avait la
rougeur d’une peau frottée.
— Une fille, Madame, une fille !
Elle vit, derrière l’infirmière le visage d’Hollenstein,
ferma les yeux.
Elle n’avait pas eu de lait. Elle avait dû rester trois
semaines allongée, passant du jardin à la chambre, Italina, la sœur de la nurse
qu’employait Peggy, était descendue du Piémont, un village de la montagne dont
les femmes partaient pour Nice donner le lait. Italina s’asseyait en face
d’Helena, se penchait sur le berceau, prenait Nathalie dans ses bras, murmurant
en piémontais, le sein déjà sorti, brun, sa pointe encore plus foncée, et
Helena voyait la bouche qui saisissait la chair. Dégoût. Elle fermait les yeux.
Et elle aurait voulu que sa bouche se remplisse de ce lait dont une goutte
perlait quand Nathalie avait fini de téter, qu’Italina rentrait avec sa paume
son sein dans son corsage blanc, reposant Nathalie dans le berceau après
l’avoir balancée, droite.
— Je vous la laisse, Madame.
Helena secouait la tête. Non. Qu’aurait-elle à lui donner ?
Elle était creuse, sèche. Il avait jeté en elle cette vie, pour qu’elle soit
dévorée et qu’elle sache après qu’il ne lui restait rien, rien à donner.
Italina rentrait le
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