Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
à l’autre. Le père, Carlo
Revelli, était une force dévorante, il l’est encore. Un boulimique.
Entreprises, terrains. Le fils qui, déjà, si j’en crois Gustav, semble avoir
perdu le goût de la guerre. Entre moi et Jean, où se situe la différence ?
J’écris. Il écrit. Peut-être, à un certain moment de l’évolution, n’y a-t-il
plus entre les individus que des nuances ? Les contrastes sont marqués
quand un homme fait la percée, traverse en une vie toutes les couches. J’ai vu
Carlo Revelli dans ce parc, le pic à la main, creuser une tranchée pour moi. Le
fils de ce terrassier épouse Nathalie Hollenstein, ma nièce. Sa fille devient
Madame Charles Merani. Ce mécanisme d’aspiration des hommes les plus
entreprenants, voilà l’un des secrets de la vitalité d’une société. La
transfusion s’opère. Si elle est suffisante, la société dure. Si elle cesse, la
société meurt. Simplet, dirait Jean.
    Frédéric tourne les pages. Hitler au pouvoir. Incendie du
Reichstag.
    J’essaie d’expliquer à Jean que l’internationale
communiste vient de subir, en Allemagne, la plus dure défaite de son histoire.
Il ne comprend pas. M’assure que le nazisme va être balayé. Il n’a pas saisi,
ils n’ont pas saisi que, une fois l’Etat conquis, un régime peut durer des
siècles. Il s’est moqué. Comment pourrait-il savoir que quelques années cela
représente, dans le cours d’une vie d’homme, une part immense, des siècles, des
millénaires ?
    Il faut écrire. Recopier la lettre de Victor Serge. Pour
Jean, plus tard. Qu’il trouve un jour ce témoignage, que le fil ne se brise pas.
    C’est cela qui pousse Frédéric Karenberg, chaque soir, à
ouvrir son cahier, à noter. Parfois, sa plume s’arrête.
    Je m’illusionne. J’essaie de croire que je vais demeurer
présent, en lui. Dans les enfants qu’il aura.
    Frédéric s’étouffe alors. Il doit se lever, aller sur la
terrasse. Fermer les yeux, prendre ces pastilles qui sont censées régulariser
le rythme respiratoire. Comme si la pensée était un muscle. Et c’est d’elle que
tout dépend.
    Pourtant, le médicament agit. Ou bien est-ce le fait d’avoir
recommencé à écrire, la joie d’une idée nouvelle, cette exaltation juvénile qui
monte, les mots qui entraînent la main, le souffle qui revient.
    Ce siècle est despotique, écrit-il. La révolution
russe n’est peut-être qu’une des faces du despotisme. Le fascisme en est
l’autre face. La liberté individuelle n’aura été qu’un moment de l’histoire,
limité à une partie de l’Europe, et, dans l’Europe, à une infime partie des
hommes, les aristocrates comme nous, les Karenberg, les grands bourgeois comme Hollenstein.
Tout cela se termine. Les foules s’agglutinent dans les villes. Dès lors, il
faut les tenir. Quand Mussolini dit : « Le XX e siècle sera
le siècle du fascisme », il ne se trompe pas. Je dirai : le siècle du
despotisme et de l’Etat.
    Ecrire, tendre vers Jean cette pensée, qu’il s’en empare un
jour, pour la détruire ou pour la donner à son tour, qu’importe, mais échapper
à cette solitude d’après. Laisser sa voix, fût-elle à peine perceptible. Cette
transmission raisonnée, délibérée, voilà l’histoire des hommes.
    Des signets dans les livres sur le bureau de Frédéric
Karenberg. Il ouvre l’un d’eux, il recopie.
    Le socialisme est le frère cadet et fantasque du
despotisme agonisant dont il veut recueillir l’héritage. Ses aspirations sont
donc réactionnaires au sens le plus profond, car il désire la puissance
étatique à ce degré de plénitude que seul le despotisme a jamais possédée…
    Karenberg hésite, il voudrait retranscrire toute la page de
Nietzsche. Mais, tout à coup, il barre les lignes qu’il a déjà notées. Il
rature soigneusement pour qu’on ne réussisse pas à lire.
    Il ferme le cahier, éteint la lumière, sort sur la terrasse.
Liséré clair à l’est, au-dessus de Cap-Ferrat qui reste une trace d’ombre.
Frédéric respire profondément, calmement, retourne à son bureau, rouvre le
cahier, écrit :
    J’avais, ici, cité une page capitale
de Nietzsche, l’une des plus dures pour le socialisme. À la lumière de ce qui
se passe en Russie, cette analyse semble se vérifier. J’ai pourtant eu peur de
la laisser, nue, dans ce journal. Maintenant, je pourrais la reprendre. Mais ce
noir est plus précieux encore, il témoigne du mal que j’ai à regarder la vérité
en

Weitere Kostenlose Bücher