Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
imitait son père, fermait son poing, reprenait le
refrain.
    Allons au-devant de la vie…
    Denise arrachait Roland à Dante.
    — Tu veux en faire aussi un imbécile ?
    Elle ne croyait plus à leur victoire.
    Il avait suffi de quelques jours, à peine le temps pour les
fusées du feu d’artifice d’illuminer la mer en la heurtant, gerbes
d’étincelles, sillage sur l’eau de l’une d’elles, rouge, qui était trop vite
retombée, paraissant se diriger vers la plage, puis, à quelques mètres du
rivage, alors que la foule déjà refluait, elle se mettait à tourner sur elle-même,
hurlante et vaine. Quatre jours seulement, et Dante, en rentrant, dépliait le
Petit Niçois, une traînée noire sur la première page que Denise ne
déchiffrait pas, mais Dante lisait à haute voix : Soulèvement militaire
au Maroc espagnol. Depuis le 17 juillet ; le général Franco est à la tête
des officiers rebelles.
    — Ils ne peuvent pas accepter qu’on gagne. Ils ne
peuvent pas, disait Dante.
    Elle l’avait toujours craint, su. Mais Denise, deux ou trois
mois, le printemps, avait tu ses certitudes. Mois de mai des cortèges, juin de
la victoire, les bals dans la cour des Galeries Lafayette, et le gouvernement
qui donnait raison aux ouvriers.
    — C’est nous qui les avons élus, expliquait Dante à ce
moment-là. Les congés payés, ils nous les doivent. On les paie. Blum, il est
avec nous. Les patrons, ils lâchent parce qu’on est les plus forts, ou ils nous
donnent ou on prend.
    Pas possible que ce soit aussi simple, que ceux qui ont
l’argent laissent commander les pouilleux.
    Il suffisait à Denise de sortir, de voir le casino de la
Jetée-Promenade, le Palais de la Méditerranée, la façade de l’Hôtel Impérial,
les voitures, les grooms qui tendaient toujours la main pour le pourboire, et,
derrière les vitres de la banque Barclays, d’apercevoir les employés à leur
place, le directeur traversant le hall, les couples d’Anglais – les hommes
si élégants, les femmes si laides, comment de si beaux hommes pouvaient-ils ?
Et elle, Denise, qui… – pour qu’elle doute de leur victoire à ceux de la
rue de la République, de la place Garibaldi, à tout ce peuple en casquette, en
livrée, ces ouvriers, ces domestiques.
    Pourtant, pourtant, durant quelques semaines, les journaux,
la radio, et Dante venait d’acheter un poste d’occasion, « parce que, avec
les événements… ». Il faisait taire Roland, applaudissait les discours de
Blum ou de Jouhaux : La victoire obtenue dans la nuit de dimanche à
lundi consacre le début d’une ère nouvelle. Une victoire ? Mieux, un
triomphe. Les patrons ont capitulé. Les patrons ? Quels patrons ?
Tous.
    Il dansait la gigue, claquement des semelles sur le sol,
claquement des paumes.
    Elle s’était laissé prendre, Denise, à cette joie, à ces
apparences. Un printemps. Mais quand, en Espagne, ce général, ces officiers…
    — Il fallait bien que ça arrive, disait le père de
Denise. Ils en veulent trop. Et tu sais ce qu’on aura ?
    Il levait l’index.
    — On aura la guerre, et ils verront, ils verront ce que
c’est, mais ce sera trop tard.
    Il se servait un demi-verre de vin, ajoutait un peu d’eau.
    — En tout cas, surtout maintenant.
    Monsieur Raybaud regardait sa femme, et c’était la mère qui
disait :
    — Avec deux enfants, ça change. Il doit naître quand ?
    Denise, qui s’apprêtait à partir.
    — Tu dois bien savoir. Si tu ne sais pas, toi…, disait
le père.
    — Janvier ou février.
    Elle les embrassait. Elle rentrait humiliée, nerveuse. Elle
tentait d’oublier. Le repas à préparer, le rideau pour la chambre à terminer.
Mais la radio, Paris-Soir que Dante rapportait chaque jour de l’hôtel,
cette photo comme un miroir, une route pierreuse, une femme qui tient la tête
de son fils à deux mains. L’Espagne de la souffrance : dans la région
de Badajoz, une mère pleure son fils tué au cours des combats.
    Dante qui a perdu. Dante qui les a sacrifiés. Aveugle. Il
disait : « Tu as vu ton Monsieur Bidois ? D’après lui, en une
semaine, Franco… Tu parles, on va gagner, là-bas, ici. »
    Dante égoïste. Un homme, ça se débrouille toujours. Si la
guerre venait, comme là-bas, lui, il serait peut-être de ceux qu’on voyait,
traversant une place de Barcelone, le fusil à la main, chemisette, pantalon de
toile, espadrilles, mais elle, avec deux enfants, seule.
    Denise observait Dante. Il préparait

Weitere Kostenlose Bücher