Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
Carlo se contentait d’un clin d’œil à son fils en guise de salut
complice, et parfois il osait, quand, sur le chantier de Juan-les-Pins, un
contremaître posait une question, dire en touchant l’épaule d’Alexandre :
    — C’est à lui, à l’architecte, qu’il faut que tu
demandes. C’est mon fils.
    Alexandre déroulait un plan sur le sol, se baissait,
donnait, la pointe du crayon suivant les tracés violets, les indications :
    — Cette baie-là, attention, vous me coupez les angles à
45 degrés, vous comprenez ?
    Carlo, les pouces dans les poches de son gilet, le chapeau
de feutre noir rejeté sur la nuque, le cigare éteint entre les dents, les yeux
mi-clos, écoutait, et quand Alexandre avait terminé, il faisait un pas en avant :
    — Alors, Romano, tu l’as mis dans la tête, ce plan ?
Tu as compris ce que veux l’architecte ?
    Romano, un vieux contremaître, avait un geste de mauvaise
humeur. Il essuyait ses lèvres blanchies par la poussière de ciment, le plâtre.
    — Vous avez confiance ou non « padron » ?
Il faut le dire.
    Alexandre se mettait à rire, avait un geste vers Romano,
presque de la tendresse :
    — Monsieur Romano, bien sûr qu’on a confiance, vous
connaissez mieux que moi le métier.
    — Il le connaît, il le connaît, répétait Carlo sans
qu’on sache – et le savait-il lui-même – s’il parlait de Romano ou
d’Alexandre.
    Carlo Revelli quittait la pièce, s’avançait sur un
échafaudage, mais là, face à la rade – le vent, la hauteur – la tête
lui tournait. Il s’agrippait à une planche. Ce sentiment nouveau, la peur de tomber.
Il faisait un effort pour desserrer les doigts – putana, putana – crispant
les mâchoires, s’obligeant à avancer. La poitrine contre la poutre de
protection, il regardait droit devant lui les îles, comme une autre poutre où
les yeux s’appuient, la dalle luisante de la mer. Oser voir le sol, au pied de
la façade, comme au terme d’un balancement, les îles, le sol. Le cœur se met à
grossir, à envahir les veines du cou, le fond de la bouche. Putana. Rester là
jusqu’à ce qu’il reprenne sa place, son rythme, ou que ça pète quelque part.
Une main sur le bras de Carlo :
    — Ce n’est pas très prudent, dit Alexandre.
    Il s’appuie à la poutre.
    — D’ici, ajoute-t-il, la vue…
    Il montre l’horizon. Il a les mouvements libres de la
jeunesse, quand on ne sent pas le cœur.
    Il s’interrompt.
    — Ça va ? Tu veux qu’on redescende ?
    Carlo retient ce cœur entre les dents. Il l’avale, se bat
avec lui. Les veines gonflent. Il a le dos couvert d’une couche glacée, sueur
qui monte vers la nuque, les tempes.
    — Je voudrais que les baies, continue Alexandre,
bouffent la façade. Pourquoi mettre les gens en cage derrière des murs ?
    Carlo fait un pas en arrière, mais l’éblouissement… Il lui
faut si longtemps maintenant, quand il a quitté le soleil, pour s’accoutumer à
la pénombre. Il s’appuie des deux mains aux parois de l’escalier, reconnaît ce
grain rugueux du ciment.
    — Tu es d’accord avec moi ? demande Alexandre.
    Carlo commence à descendre. Il trébuche, se rétablit.
    — Putana, crie-t-il.
    Alexandre le retient, le saisissant par la taille, et
d’avoir gueulé, ou ce bras autour de lui, apaise Carlo.
    — J’ai manqué la marche, dit Carlo en arrivant en bas.
    Il s’assied sur un tas de parpaings, il respire.
    — Pour la façade, dit-il, tu as raison.
    Il a parlé trop vite, le cœur rouge est encore là, derrière
les dents, à dévorer les phrases qu’il veut dire, et l’air. Carlo se tait.
    — Laisse, papa, dit Alexandre. Laisse, je vais
t’accompagner. Pour la façade, on a le temps.
    La main, encore, qui se tend pour aider Carlo à se lever, et
il s’y accroche. Ils sont debout côte à côte et de nouveau Carlo se sent mieux.
Découverte inattendue : le corps de son fils l’aide à vivre, il suffit
qu’il soit proche pour qu’une douleur s’apaise, les jambes, les reins. Parfois
la voix seule peut changer la journée. Carlo téléphone pour l’entendre :
    — À propos, dit-il, au troisième étage, dans le
deuxième immeuble, Romano me demande…
    Yves aussi permet d’oublier que les muscles sont rétifs,
raides, et maintenant Carlo a le temps. Il reste assis dans l’atelier
d’Alexandre à Saint-Paul. Il regarde son petit-fils qui, à genoux sur le sol,
joue avec une gomme. Il se souvient. Autrefois, à

Weitere Kostenlose Bücher