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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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qu’une statue creuse, un faux sans valeur.
    — Tu crois vraiment qu’en ce moment, acheter ?
demandait-il.
    Acheter de la mort, du passé. Il pensait à Hollenstein, à
Sam Lasky, à leurs réflexions pessimistes, aux nouvelles d’Italie – Mussolini
se rapprochait de l’Allemagne – aux exécutions en U.R.S.S., à Franco qui,
en Espagne, et les complots ici, ces ouvriers que la police tuait à Clichy,
matraquant même le chef du cabinet de Blum.
    — Ton Blum, disait Jean Karenberg, il refuse, pour
l’Espagne. Et pourtant, la droite ne lui pardonnera rien. Ils ont eu peur.
    — Trouve mieux, répondait Alexandre, je préfère Blum.
    — Elle vient, elle vient la guerre civile, ajoutait
Jean Karenberg. Seulement, au lieu de se battre, on nous égorgera, comme ça, pendant
le sommeil, pendant les congés payés.
    Un ouvrier abattu à Cannes, dans un bar. La foule, esplanade
Magnan, le cercueil porté par ses camarades, les platanes nus sous le soleil
comme les mains des pleureuses, doigts écartés. Barel, qui faisait se serrer
les poings : Ce fils héroïque, ce courageux militant prolétarien
niçois, Espaltero Rossi, tombé sous les balles…
    Le cortège qui s’ébranlait, le rythme sourd, le pas de
milliers d’hommes, vengeance, vengeance.
    La mort. Ces façades de Guernica devenues champs de pierres.
    — Si la guerre éclate, reprenait Alexandre, en
regardant son père, acheter tout ça… C’est immense. Ces façades…
    Carlo prenait le volant.
    — Justement. Ils ont tous peur. Ils décampent.
    Les prix tombaient. Il fallait cueillir. Savoir que les
guerres passent, qu’on y survit.
    — En 14, expliquait Carlo en conduisant, en 14, j’ai eu
peur, ça a duré un ou deux mois, et puis j’ai compris, et tu vois.
    Les mêmes reviennent. Les mêmes lois, les mêmes hommes,
Ritzen, Merani. Celui qui possède, celui-là, guerre ou pas, il en a, il les tient.
Carlo se garait entre deux camions dans l’entrepôt.
    — Ça – il montrait les bâtiments – qu’est-ce
que tu crois ? C’est pendant la guerre, et maintenant, je vais acheter.
    Carlo se dirigeait vers son bureau, les chauffeurs se
levaient en le voyant, d’autres portaient la main à leur casquette. Alexandre
restait près de la voiture. Ce cortège sur l’esplanade Magnan, ce cercueil et
ces femmes en noir, visages baissés, cette marche sur la chaussée, et il avait,
il y a dix ans, quitté son père ici, rejoint des hommes qui barraient les
quais, qui criaient : « Sacco-Vanzetti. » Il avait le sentiment,
brusquement, de s’être laissé museler, comme si son père, habilement, pendant
le sommeil, l’avait revêtu d’une défroque, la sienne. Maintenant il était
dedans, épaules dans les épaules du père, bouche dans la bouche, voix dans la
voix. Le père bougeait un bras, et c’était le bras d’Alexandre qui se levait.
    Alexandre entrait dans le bureau de Carlo Revelli.
    — Tu es toujours aussi sûr de toi, disait-il.
    Carlo était debout devant la fenêtre. Il regardait le port,
les longues planches de pin qui se balançaient au bout des filins, et qu’avec
des gestes qui semblaient maladroits les dockers saisissaient.
    — Sûr ?
    Carlo se retournait :
    — Qu’est-ce que tu as ?
    Dix ans depuis qu’Alexandre était descendu de la voiture, marchant
vers l’extrémité du quai. Les joues, les tempes, le front même de Carlo que le
temps avait évidé, tachant la main de bistre.
    — Tu achètes, tu achètes, continuait Alexandre. Si on
met tout ça en coopérative, finies les entreprises Revelli. En Espagne…
    Le visage de son père l’empêchait de trouver les mots, cet
espace entre le cou et le col de la chemise, comme un trou où Alexandre perdait
ses idées, sa colère, où il s’enfonçait.
    — Et alors ? dit Carlo. Si ça change, toi, tu es
architecte, socialiste, non ? Tu seras content, on construira toujours.
Moi…
    L’indifférence. Il fermait la fenêtre.
    — J’étais anarchiste, avant, bien avant. Je te
raconterai. Mais on n’a jamais le temps.
    Il s’asseyait.
    — J’aimerai te raconter, parce que mon père, il était
bûcheron, il a presque rien raconté. Il commençait, et puis le sommeil, ça le
prenait, au milieu d’un mot. Le temps manque toujours.
    Il sortait des dossiers, les ouvrait.
    — Avec ces hôtels, on fera des appartements, pour tous
ces petits riches qui reviennent des colonies. Tu aimes pas les statues, les
grands escaliers, moi non plus.

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