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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Mais eux, tu sais, quand ils mangent, il leur
faut…
    Il fit un geste, celui du cuisinier qui décore un plat avec
un tube de mayonnaise.
    — Le goût, le vrai goût, ils s’en foutent. Ce qu’ils
veulent, c’est que dehors, on voit.
    Alexandre se mit à rire.
    — Ils aiment la crème, la mayonnaise, tu comprends ?
    Carlo parlait en riant aussi. Son visage prenait une
expression rusée, joyeuse, et une bouffée de tendresse et d’émotion saisissait
Alexandre comme s’il se trouvait face au jeune Carlo Revelli, avant, quand le
cou musclé frottait contre le col de la chemise, et que celle-ci dessinait dans
la peau brune une fine raie rouge.
    — Les petits riches, dit Carlo, de la merde.
    Il fouilla dans un tiroir, prit un cigare :
    — Je m’en paie encore un, dit-il, c’est une bonne
journée.
    Il l’alluma, aspirant lentement.
    — Ça compte, maintenant, une bonne journée. Depuis que
Luigi… – il s’arrêta – À Mondovi, la grand-mère, reprit-il, celle qui
voulait toujours nous avoir près d’elle, elle disait : « Tutti i giorni… » –
Il continua en français. – Elle disait : « Chaque jour peut être
le mien. » Tu comprends le sens ? Aujourd’hui, demain, chaque jour,
c’est le bon pour partir.
    Alexandre haussa les épaules :
    — Toi, dit-il, tu…
    Carlo leva la main, interrompit son fils :
    — Même si ça dure dix ans, tu y penses, tu sais que tu
es au bout, que tout le bon est derrière, et depuis que Luigi… On était trois,
trois… On est deux.
    Rien à répondre.
    — Alors, une bonne journée, continua Carlo, ça compte.
    Il hésita, se leva, marcha vers le mur. Sur une carte du
département qui portait dans un des angles un plan de la ville, des points
rouges marquaient l’emplacement des carrières Revelli ; des points bleus,
les chantiers Revelli, routes en percement, immeubles en construction ;
des lignes vertes, les itinéraires des transports Revelli.
    — On va ajouter des points jaunes, dit Carlo. Hôtels en
transformation, couleur de la mayonnaise.
    Il recommença à rire.
    — Ça m’a toujours fait penser à de la merde molle.
    Alexandre se laissait emporter par le rire de son père.
Carlo retourna à la fenêtre, l’ouvrit. Bruits de palans, voix de dockers, odeur
de résine et de goudron.
    — Une bonne journée, dit après un silence Carlo, d’une
voix sourde.
    Il fit face à son fils et lui cligna de l’œil.

37
    Violette lui tendait les deux mains au-dessus de la table.
Rafaele Sori avait un moment d’hésitation, il regardait Sam, Violette, appuyait
ses coudes sur le bord de la table, le visage marqué par l’effort, mâchoires
crispées, menton prognathe, cou qui gonflait au-dessus de la collerette de
plâtre, il réussissait à se soulever du fauteuil, puis demeurait un instant en
équilibre, esquissant un sourire.
    — Je vais essayer, disait-il.
    Mais la voix semblait détruire l’effort, il allait retomber.
Sam le prenait sous les aisselles, et Rafaele saisissait les mains de Violette.
    — Ça va ? demandait Sam.
    Il gardait le bras autour de la taille de Rafaele, l’aidait
à faire les quelques pas qui séparaient l’atelier de la terrasse.
    Les oliviers au creux de la vallée, si proches dans le
silence des débuts d’après-midi d’automne, quand le vent est tombé, qu’on
semble être à marée basse, entre la chaleur et la pluie.
    — La meilleure saison, ici, disait Sam. L’automne,
l’hiver.
    Il soutenait Rafaele qui, avec les mouvements gourds d’un
vieillard, s’asseyait, laissant son dos corseté de plâtre s’appuyer au fauteuil,
allongeant les jambes, les bras, le cou maintenu raide par une gouttière qui
prenait la nuque.
    — Chaque fois que je vous regarde, ajoutait Sam, je
pense à ce film.
    Il riait, observant Violette, conjurant par sa gaieté, ses
éclats de voix, le malaise que faisait naître le corps vigoureux de Rafaele
pris dans la gangue blanche et rigide du plâtre. Violette servait le café, et,
passant près de Sam, avec le dos de la main, elle lui caressait la joue, pour
le rassurer, lui dire qu’elle était là, vive, qu’elle savait.
    C’était Sam qui avait décidé.
    Un jour, à la fin du mois d’octobre 37, Antoine avait
attendu sa sœur à la sortie des studios de la Victoire, debout près de la
guérite du gardien, et quand Violette avait arrêté sa voiture devant la barrière,
elle l’avait vu qui s’approchait. Elle avait pensé, un mot, brûlant comme

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