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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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grand-père
qui lui caresse les cheveux.
    — Pourtant, commence Ritzen, je ne peux pas croire
qu’un pays comme le nôtre puisse abdiquer.
    Des projecteurs s’allument dans la pinède. Quand le vent
souffle, on entend une trompette, des accords de piano et le crépitement d’une
batterie.
    — Le Grand Hôtel des Iles, dit Ritzen, ils nous
régalent.
    Il montre les arbres devenus roses et verts comme ceux d’un
décor.
    — Si nous rentrions ? propose-t-il.
    Jacques tend la canne à son grand-père qui marche lentement.
    — Je me demande, dit Ritzen, prenant Bertaud par le
bras, si ce pays est toujours le nôtre.
40
    Jean est seul.
    Ils ont emporté Frédéric Karenberg. Leurs pas sur le gravier
blanc de l’allée, leurs mains qui pendent le long du corps, blanches sur
l’uniforme noir. Au bout, la voiture, ce trou, à hauteur d’épaules. Ils
enfournent, referment.
    — Jean, Jean.
    Alexandre Revelli s’est approché. Jean Karenberg secoue la
tête.
    — Ma mère, dit-il.
    Des murmures, la voix de Nathalie. « Venez, Peggy, il
ne faut pas rester ici. Mon père est à l’Hôtel des Iles, avec Katia, venez,
vous vous reposerez. »
    Le flamboyant contre le noir, ce soleil sur la carrosserie.
Ils mettent leurs casquettes. L’un d’eux, là-bas, entre les deux premiers
bustes de César, s’incline. Ils vont laisser le portail ouvert.
    — Partez, dit Jean à Alexandre, partez.
    Alexandre serre l’avant-bras de Jean, puis il se détourne.
Peggy Karenberg s’est appuyée contre Nathalie, elle se laisse peu à peu
entraîner. Elles traversent cet espace – la bibliothèque, les livres de
Frédéric, le cahier à couverture cartonnée sur le bureau. Nathalie l’arrache,
résolue.
    Si Peggy l’osait, elle tendrait les bras, elle battrait
l’air pour saisir ce qui vit encore, odeur, stylo dont le capuchon n’a pas été
replacé. Elle devient lourde, elle appelle. Jean va vers elle, ils se
rencontrent, se solidifient l’un contre l’autre, debout dans l’embrasure de la
porte-fenêtre, entre le soleil hurlant sur la terrasse et la pénombre recroquevillée
de la bibliothèque.
    — Il faut, maman, dit Jean.
    Elle murmure :
    — Je veux rester.
    — Pour moi, je préfère, dit Jean.
    Elle s’écarte alors, elle descend l’escalier entre Nathalie
et Alexandre. Ils fermeront le portail derrière eux, ils laisseront, entre les
statues immuables, sur le gravier blanc, quelques traces de pas.
    Ils avaient des souliers d’ouvriers ceux qui l’avaient
emporté, cuir fendillé, semelles épaisses. Ils avançaient si lentement vers la
voiture, vers ce trou.
    Jean Karenberg, portes fermées, se mit à crier. Cela vient
du ventre, chant aigu qui ploie. Il va, Jean, d’un livre à l’autre, il feuillette
comme si le père s’était émietté, et si chacun des objets, le stylo, la boîte
de cigares, ces livres, retenait encore une partie de lui. Et, chaque fois que
Jean tend la main, le cri s’élève. Il n’est pas là. Il ne touchera plus. Il ne
lira plus. Il ne reste que cela. Le cri ploie, monte, il donne vie à la mort.
    Ils avançaient si lentement vers la voiture, dans l’allée,
comme si le cercueil avait été lourd.
    Si maigre, pourtant, Frédéric Karenberg, sa nuque, ses
tempes si creuses, et les joues et les yeux.
    Le médecin soulevait la couverture pour les dernières
piqûres, et Jean voyait, là, au-dessous de la hanche, ce qu’on appelle la
cuisse, et il aurait fallu un autre mot pour dire cette chair évidée, et la
voix elle-même qui s’effilait :
    — Papa, ne parle plus, disait Jean.
    Mais Frédéric Karenberg se redressait en s’appuyant sur les
coudes, et, à la base du cou, ces deux nouveaux creux que Jean apercevait.
    — Finalement, disait Frédéric. – Il se laissait
aller contre l’oreiller, les yeux fermés, s’enfonçant peu à peu, la tête retombant –
Ma joie, c’est toi, ta mère.
    Jean passait un bras sous son dos pour l’aider à s’allonger,
à se tourner. Si léger, le père, ramenant ses jambes, ses coudes vers sa
poitrine, les poings sur la bouche comme pour se rassembler, retenir, pareil
aux enfants qui s’endorment, apeurés.
    — Le reste, Jean, le reste…
    Il secouait la tête. Jean le tenait encore contre lui,
enfant qui chuchotait : « Le reste, le reste… »
    — Ne parle pas, répétait Jean.
    Le reste, du reste on meurt.
    Quand Frédéric Karenberg s’endormait, Jean s’installait dans
la bibliothèque, laissant la

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