Nice
vient, frôlant le cou de Dante, le caressant.
— Tu es lourd, dit Dante.
Il s’arrête un instant, s’appuie à la barrière, face à la
mer. La musique qui semble onduler avec les vagues, ces couples qu’il aperçoit
dans les salles du casino de la Jetée, loups de velours noirs, masques
grimaçants, le jaune et le vert des déguisements, cette danse qui commence.
Deux ou trois ans avant que naisse Roland, ils avaient, une
nuit, après le dernier corso, alors qu’achevait de brûler sur la grève le char
de Sa Majesté Carnaval, dansé, eux aussi, sur la piste du casino, visage
dissimulé, kimonos aux couleurs du Veglione, orange et noir, cette année-là,
Dante s’en souvient. Ils habitaient encore rue de la République, et ils étaient
rentrés à pied, Denise, lasse, s’appuyant à Dante, gardant le loup sur ses
yeux, et, dans la chambre, elle avait encore esquissé un pas de danse, puis
elle était venue vers lui, masquée :
— Tu ne me connais pas, disait-elle. Je suis une autre
que tu aurais rencontrée cette nuit au Veglione, et tu m’as conduite ici.
Denise le forçait à éteindre :
— Tu ne me connais pas, répétait-elle.
Dante se souvient de ce malaise qu’il éprouvait dans son
désir, de cette inquiétude à découvrir Denise différente, qui riait en se
pendant à son cou :
— J’ai bu, disait-elle, j’ai bu, tu ne me connais pas.
Debout entre deux danses dans la poussière et le bruit du Veglione,
ils avaient bu du vin mousseux tiède et sucré, et il semblait à Dante, en
embrassant Denise, qu’il en retrouvait le goût.
— C’est idiot, avait-il dit, en rallumant, il faut
dormir. Demain…
Demain.
Denise avait enlevé son loup de velours, et quand Dante
avait voulu de nouveau la prendre contre lui :
— Dors, avait-elle dit, méprisante, dors, demain…
Ils étaient demain déjà.
Le bal du Veglione, d’autres le dansaient, leurs silhouettes
passaient devant les baies vitrées, fugitives et imprécises.
— J’ai froid, dit Roland.
Dante serra son fils, et, en marchant vers l’Hôtel Impérial,
il lui frictionnait les genoux, les cuisses, questionnant de temps en temps :
« Tu as toujours froid ? » Roland geignait tout en dormant.
Denise s’était levée pour le déshabiller, le coucher.
Christiane se réveillait. Il fallait la bercer, lui donner le sein.
— Le Veglione, commençait Dante, tu te souviens, on
avait…
Denise, penchée sur le berceau de Christiane, paraissait ne
pas l’écouter, bordant sa fille : « Ma belle petite fille,
murmurait-elle, toute petite, si jolie. » Elle l’embrassait, se redressait
enfin, son regard qui passait sur Dante :
— Une fois seulement on est allé au Veglione, reprenait
Dante, avant, avant, Roland.
Le regard de Denise qui revenait, se durcissait :
— Tu te couches ? demandait-elle.
Il se laissait tomber sur le lit, en travers. Elle restait
droite, attendant qu’il se déplace. Il hésitait, tendait la main vers elle,
mais elle haussait les épaules, retournait vers le berceau, se penchait de nouveau,
et Dante s’allongeait à sa place, sur le côté gauche du lit, cependant qu’elle
éteignait. Il entendait sa respiration un peu haletante, puis plus régulière.
De la rue de France, des voix s’engouffraient dans la cour
de l’Hôtel Impérial, résonnaient, le rire d’une femme et le bruit de crécelle
d’un de ces serpentins de carnaval.
Cette femme dans la foule.
Dante, allongé à l’orée du sommeil, se dédouble. Le corps pesant
s’enfonce, et lui, Dante, ce film qu’ils ont vu, un homme invisible, Dante
traverse le mur, la cour, il bouscule les danseurs du Veglione, il saisit le
poignet de cette femme qui lui lance des confettis, il colle son corps contre
le sien, il redevient lourd, présent, la peau du sexe se tend, le tire hors du
sommeil. Il écoute la respiration de Denise. Elle lui semble saccadée :
— Le Veglione, dit-il à voix basse.
Il approche la main.
Denise s’est levée, et la main de Dante retombe sur le drap
tiède.
42
Une dernière poignée de confettis, Katia riait, soufflait
dans le serpentin. Son aigre de crécelle. Elle entraînait Violette dans la cour
de l’Hôtel Impérial, elle tendait sa main à Sam, elle disait :
— Allons, une ronde, à la russe. Vous êtes polonais, Sam ?
Elle commençait à danser, accroupie sur les talons, faisant
face à Sam qui se baissait à son tour. Alexandre et Nathalie frappaient dans
leurs
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