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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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savais, il se croyait
intelligent. Quelle honte !
    Elle couvrait la bouche de ses doigts, elle répétait à voix
basse « quelle honte ». Elle reculait vers le fond du couloir, elle
prenait Christiane dans les bras au moment où les gendarmes arrivaient sur le
seuil, mon père entre eux, Gustav Hollenstein à quelques pas. Les gendarmes
saluaient.
    — C’est sûrement rien, disait mon père.
    Il décrochait sa musette de toile, celle des matins de pêche
quand nous partions, lui et moi, vers les rochers du cap de Nice ou vers la
pointe Sainte-Hospice, au delà de Saint-Jean.
    Gustav Hollenstein s’était avancé. Il parlait à ma mère
assise dans la salle à manger, les bras croisés sur la nappe brodée. Du bout
des doigts, elle effleurait les roses de fil rouge.
    — Vous savez, c’est une formalité, disait Gustav Hollenstein.
Ils ont des listes, ils ont reçu l’ordre. Ils vont s’apercevoir que votre mari
ne fait plus de politique depuis plusieurs années.
    Je n’aimais pas le haussement d’épaules de ma mère. J’aurais
voulu qu’elle réponde à mon père qui, passant près d’elle, murmurait :
    — C’est rien, Denise, c’est rien.
    Mais elle s’appuyait contre la table comme si elle avait
craint que mon père ne la frôle. Ma sœur courait dans le couloir et l’un des gendarmes
jouait avec elle. Je me suis approché de Christiane, je l’ai saisie brutalement
par le bras. Le cri qu’elle poussait, je voulais qu’il se prolonge, colère et
surprise. Ma mère s’est levée, a emporté Christiane dans la chambre.
    — On y va, Revelli ?
    Le gendarme fermait sa sacoche. Mon père avait posé son
rasoir à manche de nacre sur la table.
    — Pas ça, dit le gendarme. Pas de rasoir couteau.
    — Tu le gardes, dit mon père en me le tendant.
    Il m’embrassait, je serrais le rasoir.
    — Je vais téléphoner à votre oncle, continuait Hollenstein.
Carlo Revelli est aussi propriétaire de l’hôtel.
    — Vous êtes parent avec l’entrepreneur ?
    — Parent, dit mon père au gendarme. Parent, oui.
    — Et vous êtes avec les autres ?
    — Mais non, dit Hollenstein, je vous assure, je
l’emploie, je sais bien.
    — Nous…
    Un hochement de tête.
    Le gendarme se dirigeait vers la porte. J’étais collé contre
le mur du couloir. J’apercevais mon père, là-bas, au fond de la chambre, qui
embrassait Christiane, qui s’approchait de ma mère. Je ne voulais pas voir.
J’imaginais qu’elle allait, comme elle le faisait souvent, détourner la tête
d’un mouvement nerveux et mon père répéterait :
    — Denise, allons Denise.
    Il s’est penché vers moi. Sa main sur ma nuque, dans mes
cheveux.
    — Ça va fils ? C’est rien. Je reviens.
     
    Ils l’ont gardé le temps que je découvre ce qu’est la
mémoire.
    J’avais sept ans en septembre 1939, quand ils l’ont arrêté.
Je ne savais pas encore me souvenir. Mais le soir, quand nous n’avons été que
trois autour de la table, dans la cuisine, j’ai entendu des bruits nouveaux. Le
heurt des cuillers contre la porcelaine, le crissement des couteaux, et
manquait la voix qui emplissait la maison de mots. J’ai commencé à essayer de
les retrouver.
    J’allais m’asseoir sur les marches, devant les cuisines de
l’hôtel, je suivais le va-et-vient des livreurs, un mot venait que je tirais à
moi, une scène, j’étais debout sur les épaules de mon père : « Tu vois ? »
interrogeait-il. La foule autour de nous, de grands panneaux blancs sur la
façade du journal, et les chiffres qu’on y écrivait en noir, des mots scandés :
«  Front Populaire, Front Populaire. » Mon père qui sifflait
quand nous rentrions par le bord de mer, il chantonnait et je reprenais avec
lui :
     
    Allons
au-devant de la vie
    Allons
au-devant du bonheur
     
    Il s’arrêtait, me montrait les étoiles : « Regarde
le ciel, disait-il, chaque étoile, c’est comme le soleil, avec des terres, des
centaines de terres qui tournent autour, et peut-être sur chacune, il y a des
hommes, comme ici. Tu comprends, Roland ? »
    Une femme sortait des cuisines, s’approchait de moi. Je
voyais son tablier bleu :
    — Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
    Elle m’embrassait, glissait un croissant tiède dans ma main.
    — Vous avez des nouvelles de ton père ?
    Combien l’ont-ils gardé ?
    Gustav Hollenstein était revenu plusieurs fois.
    — Carlo Revelli est intervenu, disait-il. Le maire a vu
le préfet. Seulement votre

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