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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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je suis bête, toi, tu peux monter
directement, va !
    Elle faisait à Carlo une œillade, il payait et prenait
l’escalier tapissé de fleurs rouges, lacérées de-ci de-là. L’Anglaise occupait
la chambre 7, au troisième étage. Carlo poussait la porte entrouverte. Elle
était assise sur le lit, ses jambes se balançant, blanche, blonde, si blonde
avec ses dentelles noires, son corset gainé qu’elle n’enlevait jamais, le long
lacet dans le dos, torsadé et les seins blancs qu’elle faisait jaillir en les
soulevant de ses paumes.
    — Alors Piémontais !
    Elle avait un léger accent, différent de celui des filles du
Sud et elle était ainsi devenue l’Anglaise, la fille d’un Lord, disait-on, qui
l’avait vendue pour 20 000 francs après s’être ruiné au Casino de la
Jetée-Promenade, une nuit où il voulait tenter à nouveau sa chance.
    — Approche Piémontais !
    Elle prenait le poignet de Carlo, elle découvrait le
tatouage qu’il avait depuis quelques mois, au-dessus du poignet, un poignard et
un mot – vendetta – qui s’enroulait sur la lame comme se tord le
lierre.
    — Tu n’avais pas ça ?
    Elle le repoussait, se massait lentement les cuisses, du
genou à l’aine.
    — Que vous êtes tous cons, tu te fais marquer comme un
bœuf et tu es fier.
    L’Anglaise s’appuyait au dossier du lit, elle tendait sa
main :
    — Donne, allez donne mon petit cadeau !
    Avec elle, la passe revenait cher, mais elle était blonde,
la plus blonde, la plus blanche du bordel. Anglaise aussi comme ces jeunes
femmes qui se promenaient dans leur Victoria, l’une d’elles se retournait sous
son ombrelle, paraissant dévisager les ouvriers sur le chantier. Carlo
esquissait dans leur direction des gestes obscènes, et du toit, Gari, un
ouvrier de l’entreprise Gimello, hurlait « bella moussa », beau sexe,
beau cul, et la Victoria s’éloignait, ne restait que le cercle blanc d’une
ombrelle que Carlo suivait longtemps.
    — Bella moussa, disait Carlo.
    Il tentait de poser sa main sur le sexe de l’Anglaise du
bordel, mais elle secouait la tête : « C’est moi qui travaille »,
le repoussait avec un bruit humide des lèvres : « Donne »,
répétait-elle : « Donne. »
    En sortant du bordel Carlo remontait la rue Bonaparte vers
la place Garibaldi. Le samedi soir des ivrognes titubaient dans les rues mal
éclairées, lançant des jurons, se colletant parfois ; l’un d’eux le dos
appuyé à la vasque de la fontaine, pleurant par sanglots sonores et répétant un
prénom de femme. Carlo se lavait le visage longuement, laissant les mains dans
l’eau jusqu’à ce qu’elles s’engourdissent, puis il rentrait au café de Turin,
demandait un verre de vin au comptoir. Il y plongeait à peine ses lèvres, il
voulait seulement se brûler la bouche, la gorge, et il crachait sur la chaussée
en sortant. « Putana », disait-il retrouvant l’italien pour l’injure,
putain, l’Anglaise celle à l’ombrelle et celle du bordel, putana la vie.
Parfois il rencontrait Maria, qui offrait son sexe. Qui se mettait nue. On
n’avait que ce qu’on ne désirait pas. Putana.
    Ces nuits-là, Carlo essayait de briser, comme on le fait
d’une branche sur son genou, sa vie trop droite, tracée, le chantier, la pension,
le café de Turin, Maria, l’asti qu’offrait Grinda et un jour, on glisse sur le
toit, un échafaudage cède, et on tombe, comme Gari, en battant des bras, en
lançant un cri. Ou bien on crève comme Grinda le sang mêlé au vin. À quelques
semaines de distance deux camarades, Gari qui criait « bella moussa »
et Grinda le charretier avaient crevé. Leurs morts étaient lourdes comme des
madriers, elles s’enfonçaient comme des échardes sous les doigts gourds quand
le matin est froid, qu’on ne réussit pas à saisir le bois, qu’il vous écrase.
Et l’ongle bleuit, et le doigt fait mal, comme si sa racine plongeait dans le
cœur.
    Putana. Le sexe de Carlo lui semblait douloureux, gênant,
comme serré par un lacet. Il pissait debout sur le quai du port, tenant son
membre à pleine main et la tentation le prenait d’arracher de lui, d’une
torsion rageuse, cette branche encore verte. Après il eût été peut-être comme
Grinda, avant qu’il crève. Le vin qu’on vole et qu’on boit. Puis on se laisse
aller la tête reposant sur les bras et on ronfle.
    — Qu’est-ce que tu veux faire Revelli, disait Grinda.
Changer tout ça !
    Il montrait les murs de la

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