Nice
oublié de fermer les
boutons, de nouer la ceinture et qui flottait autour d’elle, loin de son corps et
elle avait toujours envie de prendre Dante dans ses bras, de refermer cette
sensation de plein, de poids, qu’elle avait connue pendant neuf mois. Comment
pourrait-elle, toute sa vie, rester ainsi vide, découverte ?
Elle eut aimé tout de suite être à nouveau chargée d’une
vie, et Vincente ne comprenait pas ce rire nerveux qui la prenait, douloureux
mais qu’elle ne pouvait pas arrêter ; elle mettait les mains sur son
ventre pour tenter de retenir les mouvements instinctifs de son corps que le
rire faisait naître et qui peu à peu déclenchaient la douleur.
— Qu’est-ce que tu as ? demandait Vincente.
Il lui passait la main sous la nuque, il la soulevait, et
elle se calmait, posant son visage contre la poitrine de Vincente, s’endormant
parfois.
— Qu’est-ce que tu as ? répétait-il.
Le rire la reprenait. Elle embrassait Vincente, frottait son
nez contre lui.
— Je voudrais faire un enfant tous les jours,
disait-elle.
Il lui caressait les cheveux ; cette phrase, il voulait
l’entendre à nouveau. Il interrogeait Lisa, sa main glissant le long du dos.
— Angelo, disait-il, Angelo.
Elle s’endormait, se réveillant quelques secondes avant que
Dante ne se mette à crier, elle s’agenouillait sur le lit, sa chemise de nuit
blanche lui donnant une forme ronde, comme une chatte ; elle prenait
Dante, dont la bouche déjà, à peine l’avait-elle soulevé, s’avançait, elle le
glissait contre ses seins, la tête appuyée sur l’un, l’autre tendu vers
l’enfant. Vincente ne pouvait pas s’endormir, il écoutait le bruit de succion,
il regardait le sein, les plis qui depuis la naissance de Dante, s’étaient
formés sur le ventre de Lisa, il était fasciné par les mains de l’enfant, comme
gonflées, et souvent il tendait son doigt vers l’une d’elle, hésitant à la
toucher.
— Tu peux, disait Lisa, tu peux.
Il soulevait un doigt de Dante, l’abandonnait vite, comme si
cette peau avait été brûlante.
— Il a une faim, disait Lisa.
Parfois elle le changeait de sein, et il avait encore sur
ses lèvres cette mousse blanche, ce lait tiède, et tout cela, ces odeurs, ces
bruits, c’était pour Vincente comme un souvenir inaccessible qui lentement
venait au jour, sans souffrance, éclosion douce mais qui laissait Vincente
rompu, le corps mou, avec le désir de voir encore, de respirer encore cette
odeur un peu aigre du bébé qu’on change. Le premier jour, le docteur Merani,
était venu examiner Dante. Il avait écarté les couvertures du berceau.
— Défais-le, je ne vais pas le manger ton petit
Français.
Il paraissait joyeux, touchant le ventre de l’enfant, avec
violence semblait-il à Vincente, le soulevant nu, jusqu’à hauteur de son
visage, retroussant les paupières, passant la main sur le crâne bosselé, à
peine couvert d’un duvet foncé.
— Il est sain, ce bébé, bravo Lisa, toi aussi bien sûr,
ajoutait-il tourné vers Vincente. Mais tu sais, ce sont elles, nous…
Il s’était approché de Lisa, assise sur le lit.
— Et toi, comment ça va ? Aujourd’hui et demain tu
ne sors pas de ta chambre.
Madame Merani, un mouchoir sur les yeux, debout,
silencieuse, murmurait :
— Je le lui ai dit Joseph, je lui ai déjà dit, il faut
qu’elle s’occupe de son bébé.
— Je vais bien, dit Lisa, cet après-midi, je
recommence.
Elle se levait, s’appuyant sur le dossier du lit, la voix
assurée. Le docteur haussa les épaules, regarda sa femme, Lisa.
— Débrouillez-vous, dit-il, j’ai besoin de toi
Vincente, de toute façon, tu ne sers plus à rien.
Au bureau de poste principal, rue Saint-François-de-Paule,
on inaugurait la liaison téléphonique entre Nice et Cannes. C’était à quelques
centaines de mètres de la maison Merani mais le député tenait à arriver en
voiture, Vincente attela rapidement, le docteur Merani faisant les cent pas
dans la cour, jouant avec sa canne, sifflotant, s’approchant de Vincente :
— Tu es trop jeune pour savoir, pour sentir, attends
d’avoir vingt ans de plus, tu sais, mon fils, je l’ai eu, j’avais ton âge,
vingt-trois, vingt-quatre ans, c’est ça ?
Vincente passait les sangles sous le poitrail du cheval.
— Je ne me suis pas rendu compte, continuait Merani,
aujourd’hui, le tien, maintenant que je suis sur l’autre pente, il s’est passé
quelque chose quand je
Weitere Kostenlose Bücher