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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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disait Vincente à voix basse,
pouvait-il être sûr que quelqu’un n’aborderait pas dans l’île noire du milieu
de la nuit, Madame Merani, ou le docteur, un étranger qui détenait le droit
d’ouvrir les portes ? « Angelo » répétait Vincente, et il
caressait les seins de Lisa, son ventre, elle se détendait, sa respiration
devenait plus forte, mais un bruit quelque part dans la maison, la garrottait à
nouveau. « Il faut dormir », disait-elle parfois, pour que cesse ce
guet, ou parce que le matin il y avait la lessive ou les vitres du grand salon
qu’il fallait laver, trempant des journaux dans l’eau chaude, frottant bras
levé, jambes tendues, et les mollets devenaient douloureux. Vincente
s’écartait, se recroquevillait sur le bord du lit. Ce cri muselé restait dans
sa bouche comme un tampon d’étoupe. Lui aussi voulait dormir, dormir, il le
voulait comme on frappe du poing sur une table.
    Quelques mois plus tard, Vincente avait définitivement
remplacé le vieux cocher devenu concierge. Le matin il attendait dans la cour,
voiture attelée, que descende le docteur Merani. Il lui tendait les journaux et
il aidait le docteur à monter dans la voiture. On passait à la mairie, on
s’arrêtait au siège de l’ Éclaireur . Puis on faisait la tournée des
grands hôtels. Le docteur Merani tenait à saluer, comme député et comme
médecin, les Altesses qui descendaient à Nice, les ministres et parfois même
Monsieur le Président de la République. Vincente stationnait devant les
escaliers de marbre, ou bien entre les palmiers, échangeant quelques mots avec
les cochers, essayant le plus souvent de se tenir à l’écart, d’oublier qu’il
était l’un de ces hommes qui se précipitaient ouvrant la portière, prêtant
l’avant-bras, se découvrant, et se courbant. Il regardait le ciel, le point
blanc dans le ciel matinal d’une étoile, ou bien le déplacement des nuages, ou
la nuance que prenait l’horizon aux différentes heures de la journée. Il ne
sommeillait jamais, son esprit vif, il le faisait fuir dans des directions
inattendues qui le surprenaient lui-même. Il imaginait d’aborder dans une île
déserte avec Lisa, Luigi, Carlo et leurs femmes, d’y fonder un État. Il suivait
les générations, inventant des moyens pour que demeure entre les fils l’égalité
des pères. Il supprimait les héritages, répartissait entre tous les surplus. Le
docteur Merani le touchait de sa canne : « Tu dors, Vincente »,
disait-il amusé. « Allons. » Vincente dépliait le marchepied, sautait
sur son siège, attendait l’ordre.
    Un jour le docteur lui fit prendre la promenade des Anglais,
puis arrivé au pont Magnan, il le fit arrêter, descendre. « Monte avec moi »,
dit-il à Vincente.
    La voiture était immobilisée sur une bande de sable réservée
aux cavaliers tout au bout de la promenade. Le cheval levait haut la tête,
tirant sur les rênes, semblant suivre le vol bas des mouettes.
    Le docteur Merani, sa canne entre les genoux, les deux mains
posées sur le pommeau en or, regardait, grave et ironique. Vincente.
    — Tu es un brave garçon, dit-il, Luigi aussi. J’ai
pensé…
    Il s’arrêta.
    — Mais il y a l’autre, le troisième Revelli. Tiens.
    Le docteur Merani prit un papier de sa poche, le montra à
Vincente.
    — Je te parle d’homme à homme, tu es un homme
maintenant, tu es marié. C’est vrai ce que me dit Madame Merani, que Lisa
attend un enfant ?
    Vincente fit oui. Ce garçon qui allait naître, ce garçon,
car il voulait que ce soit un homme, il l’avait rêvé devant les portes majestueuses
des hôtels pour princes étrangers. Ce fils était la plus inconnue et la plus
fertile des îles désertes. Sa vie à venir serait l’un de ces fleuves dont on ne
peut prévoir le cours, mais dont on sait qu’ils vont s’élargir, couvrir toute
la plaine, comme le Po en crue. Il ne s’inclinerait que devant ceux qu’il
saurait plus justes que lui, plus savants. Et Vincente se taisait, se courbait,
acceptait sans révolte parce qu’il imaginait que sa soumission présente
nourrirait de sève son fils et le ferait plus fort. « Les racines, c’est
l’arbre », disait le père à Vincente, en montrant ces veines grosses comme
des bras que l’on voit parfois dressées hors de terre, quand un orage a soulevé
l’arbre avant de le coucher.
    — Tu dois penser à lui, alors, continuait le docteur
Merani, d’ailleurs tu as changé, tu es moins tête

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