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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Qu’elles nous voient, qu’elles apprennent
que nous avons un corps comme ces jeunes gens, pull-over blanc, manches nouées
autour du cou, chaussures de tennis, deux ou trois livres sous le bras et
parfois la raquette pour, la classe terminée, jouer sur le court tout proche.
    Je ne suis pas solidaire des miens. Je rougis quand Catto
touche son sexe, quand Giuliano crie, au moment où les filles de philosophie
s’alignent pour rentrer en classe, « bella moussa ».
    Je voudrais qu’elles me distinguent à nouveau comme le
faisait Julia que ne vois plus, qui heureusement ne fréquente pas ce collège,
ignore ma vérité, que j’apprends le métier de mécanicien-ajusteur, parce qu’un
jour, à table, alors que ma mère dit : « J’inscris Roland au lycée,
il sera docteur », mon père répond : « Tu es folle, vingt ans
d’études, un bon ouvrier, voilà ce qu’il faut. »
    Ils ont commencé à s’opposer à mon propos et je voulais seulement
que cesse cette lutte.
    Ma mère s’est obstinée.
    — C’est long, disait l’instituteur, mais Roland peut
faire ce qu’il veut. Il est travailleur, intelligent, seulement les bourses,
c’est peu de chose.
    J’ai passé un examen. Dans la salle, sous une verrière, je
n’entendais même plus les mots de la dictée, l’énoncé du problème. Il me
semblait qu’ils étaient là, père et mère, tenant chacun l’un de mes bras. Je
serrais mon sexe entre les cuisses, la peur comme une étreinte douloureuse qui
pourtant fait jouir, P.P.C.M., P.G.C.D. , formules que j’essayais de
retrouver en vain, participe qui se désaccordait.
    Monsieur Aillaud, l’instituteur, se penche vers moi, met la
main sur ma nuque, reste là trop longtemps, s’éloigne, revient avec un collègue,
m’interroge.
    — Qu’est-ce que tu as, Revelli, ça ne va pas ? Tu
es pâle. Tu te sens mal ? Travaille comme si tu étais en classe. Allons
Revelli, calme-toi.
    Qu’ils me laissent à ma honte, qu’ils me méprisent puisque j’appartiens
aux méprisés. Je ne puis écrire une ligne, tracer un trait sans que naisse une
tache, araignée violette qui ronge la page, mes yeux, le centre de ma poitrine.
J’échoue.
    Ma mère pleure :
    — Tu étais toujours le premier, répète-t-elle.
    — Il est très émotif, dit Monsieur Aillaud. Mais je ne
comprends pas non plus.
    Mon père hausse les épaules.
    — Un bon ouvrier, dit-il, qui connaît bien son métier,
et il le connaîtra s’il va dans ce centre, c’est mieux pour lui. C’est le fils
d’un ouvrier, qu’est-ce que tu veux qu’il fasse comme médecin ? Et
l’argent pour s’installer ? Les études ce serait rien. C’est après que ça
commence.
    — Pour toi, je voulais, disait ma mère, toi au moins.
    Elle quittait la table, je l’entendais sangloter couchée sur
son lit, puis elle claquait la porte, et quand j’entrais dans sa chambre elle
pleurait encore, un mouchoir sur sa bouche. Je m’approchais, je restais debout
près d’elle, je disais :
    — Maman, maman, qu’est-ce que tu as ?
    Elle était immobile, puis elle m’attirait contre elle :
    — Je voulais pour toi, que tu n’aies pas la même vie
que moi.
    Elle faisait un effort pour combattre ce désarroi dont la
profondeur m’étonnait. Lycée, collège, centre d’apprentissage, Bac, C.A.P., ces
mots n’avaient encore pour moi aucun visage, l’un plaisait à ma mère, l’autre à
mon père et j’aurais voulu trouver celui qui les rassemblait. J’imaginais que
j’allais à nouveau comme à l’école, répondre avant les autres, avant le fils du
médecin de la rue de France.
    Mais dés le premier matin, quand l’appel dans la cour du
collège a été terminé, j’ai compris que nous étions les hommes de la soute.
Cartable fait de deux morceaux de tapis cousus entre eux, bleus de travail
délavés et retaillés, j’observais mes camarades.
    — Où t’habites ?
    Ils venaient de l’est de la ville ; Saint-Roch,
Riquier, le Port, la rue Arson. Les autres élèves, ceux du collège, entraient
déjà en classe dans le bâtiment principal, garçons et filles mêlés. Nous, nous
attendions. Puis nous nous sommes dirigés vers le fond de la cour, vers les
ateliers de mécanique, et on nous a distribué ces caisses à outils, les limes,
les morceaux d’acier brut, mal ébarbés et je me coupais à ces angles vifs.
    Heure après heure, trente dans la semaine, ajustage et
mécanique, et les classiques et les modernes qu’on voit

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