Nice
d’être une personne
pour lui, pas une image. Ta mère, je crois que vous vous êtes trop aimés, elle
et toi, chacun à votre façon, et maintenant vous ne vous aimez plus assez,
parce qu’elle a peur que tu la quittes et toi tu as peur qu’elle te retienne.
Enfin les mots me reviennent. Je parle. Violette se lève,
m’embrasse, me réconforte.
— La nuit, dit-elle, tant que le soleil n’est pas levé,
les gestes de colère ne comptent pas. Le matin efface tout. Je vais téléphoner
à l’Hôtel Impérial, qu’on lui dise que tu es là, que tu ne t’es pas suicidé,
c’est ce qu’elle doit imaginer. (Elle s’éloigne, revient.) Tu étais avec une
fille toute la nuit ?
La chambre de l’Hôtel des Anges, je n’en ai pas
encore parlé. Pudeur ou oubli, ces heures ont-elles existé ?
— Tu veux que Sam aille la chercher ? Ça ne lui
déplairait pas.
Je ne dis presque rien encore, seulement l’Hôtel des
Anges, le portier devant lequel, ce matin, je suis passé en courant.
— L’Hôtel des Anges, dît Violette, mon père une
fois, une seule fois, m’a raconté que c’est là qu’il avait emmené ma mère pour
leur nuit de noces. L’hôtel, sur la Promenade, c’était une folie pour eux.
On les a mal reçus, mais ils pouvaient payer, on les a mis
dans une chambre tout en haut. Et toi tu entres, tu sors de cet hôtel comme tu
veux.
Violette s’appuie aux bras de mon fauteuil, murmure :
— Ton amie, tu veux que Sam descende à Nice ?
Je me raidis, je dois faire une grimace, il me semble que je
vais pleurer.
— Si tu préfères, reprend Violette, il n’ira pas. (Elle
me caresse le visage.) Viens, dit-elle.
J’aime la sentir contre moi. J’ai besoin d’une femme qui me
console, m’acquitte.
— Où allez-vous ? crie Sam.
Vincent se précipite en courant derrière nous mais Sam le
retient :
— Laisse-les, dit-il, on travaille, eux ils parlent.
Nous marchons dans les rues de Saint-Paul vers l’extrémité
du village, ce promontoire ensoleillé. Il fait chaud déjà, la brume voile
l’horizon vers la mer et le profil des collines, paysage flou où les bruits
(une voiture passe sur la route des crêtes) s’assoupissent.
Violette s’assied sur le rebord du chemin de ronde.
— Je suis partie très jeune de chez moi,
commence-t-elle.
Elle parle d’elle pour me parler de moi. J’écoute avidement
comme on suit l’avenir dans les lignes de sa main.
— Je ne voulais pas vivre comme eux, Louise, Antoine,
ou ton père. Dante, je pense souvent à lui. Tu sais Roland (elle m’entoure les
épaules), quand il est revenu de la guerre, l’autre, en 19, il était
enthousiaste, il… (elle s’interrompt) je l’aime beaucoup, Dante. Seulement on
se voit si peu.
— Il est toujours enthousiaste.
Elle rit.
— Aujourd’hui (elle fait une moue) si tu l’avais connu.
— Raconte-moi.
Sans fin j’écouterais leur histoire à mon père, à ma mère.
Je voudrais les avoir accompagnés depuis leurs origines, vivre leur rencontre.
— Denise, continuait Violette, c’était une de mes
amies, mon amie, elle travaillait à Haute Couture, j’allais la chercher
chaque soir, en sortant des Galeries Lafayette, Dante et ta mère, ils se
sont connus grâce à moi.
Je sais maintenant ce qu’est le corps d’une femme, je les
vois, Denise et Dante, qui s’approchent l’un de l’autre, eux, aujourd’hui
séparés.
— Ils s’aimaient ?
— À leur manière (Violette fait quelques pas, revient)
mais ils étaient si différents, Dante (elle s’interrompt encore)… Ce qu’on
apprend quand on vieillit, Roland, c’est qu’on ne peut rien recommencer, ça ne
sert à rien de dire si, si… C’est comme ça.
Elle allume une cigarette, la tête tournée vers le ciel où,
au-dessus de la brume, s’étirent de longues plages de nuages plats.
— Il faut faire ce qu’on sent très fort, reprend
Violette, sinon… Et quand on les veut les choses arrivent, on ne sait pas
comment. Je voulais un fils, je vivais avec Sam qui n’en voulait pas. Je suis
mariée avec Sam et il y a Vincent. Les choses se font. Parfois j’ai peur de
désirer, parce que peu à peu le désir se réalise mais d’une manière qu’on
n’imagine pas. Tu sais que Rafaele, le père de Vincent, a été tué à la
Libération ?
C’est moi qui prends le bras de Violette pour rentrer, moi
qui l’aide à descendre l’escalier du chemin de ronde. Nous ne parlons plus.
Le village s’est
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