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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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j’étais à l’écart,
n’osant pas me mêler à eux qui insultaient les commerçants, les contraignaient
à baisser leurs rideaux : « Vous n’avez pas à gagner d’argent pendant
que nous on la serre. Grève pour tout le monde. »
    J’assistais place Saint-François, devant la Bourse du
Travail, au rassemblement des hommes en bleus, gaziers et cheminots, éboueurs,
ceux des quartiers de l’est, Saint-Roch et Riquier. Mon père, parmi eux,
applaudissait.
     
    — J’ai toujours su qu’il se trompait, continuait
Antoine. Seulement il y avait l’Espagne, la guerre, qu’est-ce que tu voulais
qu’on fasse ? Qu’on soit avec les autres ? On pouvait pas. Mais la
vie, ça passe Roland, ça passe. Rafaele, tu te souviens, le frère de ta tante ?
    Giovanna entrait :
    — Laisse Rafaele, disait-elle. Ne parle pas pour lui.
Il a toujours su ce qu’il voulait. Et Francesco comme lui.
    Elle se penchait vers moi :
    — C’est Antoine qui t’a proposé une cigarette ? Il
te fait fumer ? Tu ne devrais pas. À quoi ça sert de fumer !
     
    Je roule lentement le long du boulevard de la Madeleine.
J’ai presque froid, la brise m’enveloppe, serre mes épaules. C’est vrai qu’ils
sont toujours vaincus les plus pauvres. Qu’à la fin on les colle contre un mur,
partout. Qu’il faudrait qu’ils deviennent une armée invincible, justiciers
rouges, moines soldats. Je m’enrôlerais dans la cohorte impitoyable, en
avant camarades, nous aurions la foi des marins du Potemkine et la
discipline de fer des gardes blancs qui descendent les escaliers d’Odessa.
     
    Nous sortons avec Bernard et Michèle du cinéma où l’on
projette le film d’Eisenstein.
    Bernard est arrivé de Bretagne au début du mois d’août. Il
est venu m’attendre à la sortie de l’entrepôt. Je l’ai aperçu, appuyé à l’une
des bornes du quai, cheveux bouclés, corps maigre, un journal déployé,
silhouette de l’un de ces élèves de philosophie qui nous ignoraient, nous les
apprentis du centre. Je ne voulais pas le rencontrer et je ne me suis pas
retourné quand il m’a appelé, mais rentré chez moi, j’étais sûr qu’il allait
venir m’y retrouver.
    Il entrouvrait mes volets, s’accoudait à la fenêtre de ma
chambre.
    — Tu ne m’as pas entendu ? demandait-il.
    Il sautait de la cour dans la pièce.
    — Tu travailles, prolétaire ?
    J’étais sur mes gardes, il feuilletait mes livres.
    — On lit la même chose.
    Tout à coup, d’une poussée brutale dans la poitrine, il me
forçait à m’asseoir sur le lit.
    — Tu as fini de faire l’idiot ? disait-il.
Pourquoi tu ne t’es pas arrêté sur le port ? Complexes ?
    Il me lançait un coup de poing, je bondissais, serrais le
poignet, tordais le bras. Il hurlait.
    Nous nous étions reconnus.
     
    Le temps du corps à corps, l’adolescence, les mots qui ne
viennent pas ce sont les mains qui les trouvent, je m’en souviens avec émotion.
    Nous sortions de la cour de l ’Hôtel Impérial, il
saisissait mon bras, je lui donnais un coup de coude, conversations qu’un geste
interrompait, complétait, et nous retrouvions le rythme commun de nos démarches
quand, dans la ville occupée, nous allions côte à côte. Nous nous asseyions sur
l’un des bancs de la Promenade, face à la mer, nos bras se rencontraient sur le
dossier. Bernard parlait, m’interrogeait, j’oubliais mes revanches à prendre,
mes humiliations à venger. Je l’écoutais, il m’obligeait à la curiosité.
    — Il faut que tu lises, disait-il. Le lycée, ça ne
compte pas, lis, lis toujours.
    Parfois il rencontrait mon père dans la cour. Je m’écartais,
feignant l’indifférence, alors que j’étais attentif à chacune de leurs phrases,
à la sympathie qu’ils avaient l’un pour l’autre.
    — Il faudra que vous me racontiez, Monsieur Revelli,
répétait Bernard.
    Mon père souriait, allumait une cigarette, me regardait.
    — Roland, quand je parle, ça l’irrite. (Je haussais les
épaules.) Je le comprends, continuait mon père, si je me mets à parler de
l’autre guerre, de la mer Noire, vous n’en sortirez pas, Monsieur Halphen je
suis intarissable là-dessus, mais c’était notre jeunesse, vraiment on croyait
qu’en quelques jours, quelques mois tout au plus, ça allait basculer, on était
jeunes, mais Sébastopol, en 19, c’était quelque chose.
    Je suivais sur le visage de Bernard l’émotion, l’intérêt.
J’étais fier.
    — Ton père, disait

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