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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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ciment que des manœuvres accrochaient aux câbles de la grue. Roland restait
près du chauffeur, les bras ballants.
    — Tu es monté sur un échafaudage, dit Carlo en se
tournant vers lui. Jamais ? Tu vas aller m’enlever ça. (Il montrait le
chiffon rouge.) On verra si tu as le vertige.
    Roland entra dans la charpente de béton. Les tiges rouillées
s’échappaient des poutres grises, il se baissait pour les éviter, gravir les
passerelles qui de plancher en plancher conduisaient au sommet, à ce dernier
madrier, où avec un fil de fer torsadé, quelqu’un avait accroché le drapeau de
fortune qui marquait le faite de la construction. Roland en cassa la hampe, une
planchette couverte de plâtre. Il regarda alors seulement le sol, la voiture,
Carlo Revelli. Il n’avait pas le vertige. Il redescendit, faisant trembler les
passerelles, le chiffon rouge à la main. Les ouvriers s’interrompaient à son passage,
l’un d’eux, dans un étage, se mettant à siffler fort un refrain que Roland
croyait reconnaître.
19
    Dante Revelli pensait à Roland le matin, avant les premiers
gestes, quand les idées viennent une à une, qu’elles s’attardent, que le
silence se fait autour d’elles.
    Dante allumait une cigarette, ouvrait la fenêtre. Il avait
besoin du bruit de la rue. Si la mer était forte, il entendait le ressac ou,
quand le vent soufflait, les cris des mouettes et Dante imaginait leur vol obstiné
au-dessus de la Promenade. Mais les cinq ou six petits mots – qu’est-ce
qu’il fait Roland ? – restaient collés l’un à l’autre, continuaient
de tourner et Dante ouvrait la radio pour que le manège l’entraîne.
     
    Les manifestations pour empêcher l’exécution des époux
Rosenberg, ce couple new-yorkais accusé d’espionnage en faveur de l’Union
soviétique, se sont poursuivies dans de nombreuses villes, à Rome…
     
    Il était seul dans la cuisine avec cette voix étouffée qui
répétait que rien ne change, que ce sont toujours les mêmes qui meurent. Il se
souvenait des cris dans les rues : Sacco Vanzetti, et il s’était
haussé sur la pointe des pieds pour voir la foule sur les bords du Paillon,
violente, résolue. Mais ils avaient tué Sacco et Vanzetti bien avant que naisse
Roland, peut-être même avant que Dante rencontre Denise, quand, juste après
l’autre guerre, il croyait…
    Dante fermait la radio.
    Le manège l’avait ramené au point de départ, à Roland.
Avant, il était là, Roland, levé le premier. Dante le surprenait alors qu’il
s’étirait, mains nouées, bras tendus au-dessus de la tête et Dante riait de le
voir si grand, ce fils.
    — Tu touches le plafond, disait-il.
    Roland, aussitôt, baissait les bras, mais Dante oubliait
vite ce geste. Son fils était là. Dante entendait le craquement de la croûte
quand Roland brisait le pain, il poussait vers lui la cafetière, il pouvait dire :
    — Ça va chez l’oncle, tu le vois Carlo, il te parle ?
    Souvent Roland répondait d’un haussement d’épaules, mais Dante
continuait de parler et certains matins le fils était pris. Il écoutait, les
mains autour du bol, la tête baissée et Dante laissait sa cigarette se consumer
dans le cendrier.
    — Tu comprends, nous, quand on est revenus de la
guerre, on croyait…
    Dante dévidait le temps, sa vie, pour lui autant que pour
Roland, pour essayer de démêler les brins de cette pelote qui avait roulé
jusque-là, jour après jour. Les événements s’étaient succédé sans que Dante
prenne la mesure du temps, mais un matin il découvrait qu’il avait un fils plus
grand que lui et hier encore il le prenait sur ses épaules.
    — Je me demande si tu te souviens, disait-il, tu étais
petit, on est allé tous les deux aux résultats, en 36. Un beau moment. On en a
eu quand même, tu étais sur mes épaules, debout, tu te souviens ?
    Roland ne bougeait pas, mais l’émotion entre eux, tendue.
Dante se taisait, écrasait le mégot dans le cendrier, prenait une autre cigarette,
l’allumait en se penchant au-dessus de la flamme bleue du gaz, tirait quelques
bouffées.
    — Dans une vie, tu vois, des moments comme 36, ça
compte, reprenait-il.
    Tant d’autres dont on ne se souvient plus, l’indifférence
autour de soi, le regard qui se détourne quand, et c’est la guerre, on explique
qu’il faudrait trouver un lit pour dormir, cette nuit, et l’autre sans répondre
secoue la tête, pousse lentement la porte. Le même homme, plus tard,

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