Nice
voulait comme on le fait d’un cheval
rétif, raccourcir la longe. Alors il se rebiffait encore, luttant contre
lui-même.
— Je m’en fous. Non Vincente. J’entre pas dans une
église.
— Elle va venir te voir, elle.
Vincente était parti avant même que Carlo puisse répondre et
depuis il attendait Lisa, il remettait soir après soir son « tour » à
la villa Karenberg. Quand il rentrait du chantier il s’attendait à voir sa
belle-sœur assise parlant avec Madame Oberti et Rina.
C’est avec Sauvan qu’elle était, dans leur chambre, lourde
encore, un col de dentelle blanche sur sa robe grise. Carlo ne l’embrassa pas,
la salua à peine, enlevant sa veste, l’accrochant au clou.
— Tu dis que tu ne veux pas ? dit Lisa sans
bouger.
Sauvan sortait fermant doucement la porte.
— Pourquoi ?
Carlo bougonna, remit sa veste.
— Viens dehors, dit-il, il fera plus frais qu’ici.
Ils s’assirent côte à côte sur le muret qui clôturait le
jardin.
— Tu es l’aîné, dit Lisa, c’est toi qui marches devant.
Vincente, Luigi, c’est toi qu’ils regardent.
— Chacun va où il veut, comme il veut, dit Carlo.
Il avait pris une pierre aux angles vifs, il en rayait la
terre.
— Dante, c’est un Revelli, comme toi, dit Lisa.
— Chacun joue sa partie, dit Carlo.
Lisa se tut.
Il y avait un oncle, à Mondovi, dont on disait qu’il
ressemblait à Carlo. « C’est des oncles que tiennent les fils »,
répétait le père.
— Comment il va ? demanda Carlo.
Lisa fit signe que Dante se portait bien. Le père, quand les
autres étaient nés, Vincente, Luigi, jurait, il s’en prenait à la mère. Il
disait que, en Savoie, vers le nord, au delà de la Suisse, il y avait toujours
du travail pour les bûcherons, et qu’il allait partir, qu’ils se débrouillent,
eux la femme, les enfants ; lui, il en avait assez d’attendre, qu’ils se
débrouillent. « Fais ce que tu sens », disait la mère. Le père
parfois lançait son poing contre le mur, comme s’il eût voulu que de ce seul
coup, la maison tombe, sur lui, sur eux. Et il n’était pas parti. L’affection
d’un enfant, qu’est-ce qu’on en fait Lisa ?
— Tu veux pas ? disait Lisa en se levant.
Carlo se levait aussi, lui faisant face.
— Demain, je peux être en prison, je peux partir.
Lisa était beaucoup plus petite que lui, mais il lui
semblait qu’elle le forçait par son regard à se plier, et il s’écarta, n’osant
plus l’affronter. Elle le prit par le bras.
— Il n’a pas besoin de toi comme tu crois.
— Je n’ai rien, dit Carlo.
Lisa haussa les épaules.
— Tu as beaucoup, tu sais partir.
Elle tourna brusquement le dos à Carlo, traversant
rapidement la cour et elle s’engageait déjà sous le porche.
— Quand ? lança Carlo. Dis-moi quand ?
Madame Merani avait voulu être la marraine.
— On me critiquera, on trouvera que je vais trop loin,
disait-elle au docteur.
Ils étaient assis dans leur grand salon. Lui, une pile de
journaux sur le genou, s’exclamait de temps à autre, interrompait sa femme :
— Laure, fais-moi porter une tisane, veux-tu,
disait-il.
Elle se levait, lançait un ordre depuis le couloir, on entendait
le pas de Lisa sur les tommettes. Madame Merani prenait l’un des journaux que
son mari après les avoir feuilletés lançait sur le sol.
— Mais ils le jugent encore, demandait-elle, mais
pourquoi ne l’ont-ils pas condamné, on devrait les guillotiner tout de suite.
— La frousse dit le docteur.
Lisa entrait, posant le plateau sur l’un des coffres de bois
clair que Madame Merani avait achetés à une Anglaise revenue des Indes.
— Ils tremblent tous devant eux, quelques bombes et
cela suffit, continuait le docteur.
Il se tourna vers Lisa qui versait lentement la tisane dans
la tasse au liséré bleu.
— Et notre Ravachol, qu’est-ce qu’il devient ? Ton
beau-frère, précisa-t-il comme elle paraissait ne pas comprendre.
— Il travaille, dit Lisa.
Avant de refermer la porte elle demanda.
— Je peux ?
— Oui, oui, va te coucher, dit Madame Merani. Tu sais,
ajouta-t-elle sans regarder le docteur, que le frère de Vincente doit être le
parrain ?
— Toi la marraine, bravo, belle association autour du
bénitier, sous la protection divine et pontificale.
— Précisément, Joseph, je voulais en parler, on va me
critiquer, avec ces bombes, ce Ravachol si l’on sait que Revelli est anarchiste
et moi, Madame
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