Nice
l’ai pris, c’est la vie, c’est neuf, et quand tu
commences à avoir des rhumatismes dans les mains, ça fait quelque chose, à
vingt-cinq ans on ne sait pas. Dis-moi…
Vincente avait terminé, il ouvrait la portière au docteur,
qui s’arrêtait, un pied sur le marchepied.
— Dis-moi, ton frère ? Plus de bêtises ? Il y
a ton fils maintenant.
Il hésita, touchant Vincente à l’épaule, avec sa canne.
— Il y aurait quelque chose à faire, te naturaliser toi
et Luigi, pour le service militaire on s’arrangera.
Vincente fermait la portière, le docteur se laissait tomber
sur la banquette, las, observant un instant Vincente, détournant les yeux,
revenant à lui.
— Si l’autre fait des conneries, toi tu ne seras pas
expulsé. Je vais en parler au préfet, il me doit bien ça.
Alors, Vincente monta sur son siège, et avec les rênes donna
un coup sur l’échine du cheval qui avança au pas.
— Dante, disait le docteur Merani, il te porte chance.
On baptisa Dante Revelli à l’église Saint-François-de-Paule.
Carlo refusait d’être le parrain. Vincente pour le
convaincre était allé l’attendre à la sortie du chantier, derrière le Casino de
la place Masséna.
Carlo venait de quitter l’entreprise Gimello et il était
entré comme terrassier chez Forzanengo, un entrepreneur qui avait emporté l’adjudication
des travaux pour la couverture du Paillon.
— Tu as tort, avait dit Sauvan à Carlo, Gimello, tu le
connais, il te fera toujours travailler. Forzanengo, tu es un parmi cent, quand
il aura fini, il te balance. Tu as tort Revelli.
C’était un dimanche, Sauvan et Carlo étaient partis de la
pension Oberti et ils marchaient, vers le mont Gros, leur veste sur l’épaule,
lentement. Carlo fumait, proposant de temps à autre le toscan à Sauvan qui en
aspirait une bouffée. Après les zones maraîchères et fruitières, au delà de
Riquier, ils avaient commencé à grimper, dans la chaleur limpide du mois de
mai. La sphère de l’observatoire se détachait sur le vert terne des pins, et
dessinait une encoche blanche dans le ciel uniment bleu.
Ils s’arrêtèrent là où, depuis le bord de la route en
corniche on aperçoit à la fois les montagnes qui ferment la vallée du Paillon,
le mont Chauve, au nord, et la ville frangée par la mer. Dans toutes ces
directions, les routes comme les doigts d’une main ouverte marquaient la
progression de la ville, le long du Paillon, ou au delà de la promenade des
Anglais dont le prolongement se perdait, après le pont Magnan, dans l’éclat
multiplié du soleil sur la mer. Une barcasse, sa voile romaine couleur sang
déployée, sortait du port. Au milieu de l’arc de la Baie, la boule métallique
et brillante de la coupole du Casino de la jetée, comme un reflet, déformé, de
l’observatoire. Carlo s’assit sur le bord du chemin, jouant avec les aiguilles
de pin, l’herbe déjà sèche.
— Habiter haut, dit-il, ici, là-bas.
Les collines encerclaient la ville, comme une autre baie,
qu’une vague déferlante moutonneuse et sombre signalait. Dans cette végétation
de pins, quelques éclats incandescents, les vitres des premières villas qu’on
commençait à construire dans la plus proche hauteur, celles des Baumettes ou de
Fabron. À l’extrême ouest, vers l’embouchure du Var, les deux baies, la marine
et la terrienne, se rejoignaient, l’une blanche et mouvante, l’autre noire.
— La ville sera partout, continuait Carlo, les riches
en haut, les pauvres en bas.
En face du mont Gros, partageant la ville, la colline de
Cimiez que les quartiers de Carabacel ou de la place d’Armes recouvraient peu à
peu, comme le sable une source. Plus loin, la colline semblait resurgir, vivre
à nouveau droite après un parcours souterrain avec le rocher du château qui
tombait à pic sur le port et la mer. Carlo se leva, prit Sauvan par l’épaule,
montra Cimiez.
— Regarde, dit-il, la villa Karenberg, c’est ce toit.
Sauvan ne distinguait rien, peut-être l’angle rose d’une
façade au milieu des arbres.
— Tu imagines ? dit-il.
— J’imagine, dit Carlo.
Ils se remirent en marche vers l’Observatoire. Une fois le
tournant de la corniche franchi, on ne voyait plus que l’est, les hautes montagnes
dans le fond, sans doute la frontière italienne et de chaque côté du large lit
caillouteux du Paillon, les pentes arides des collines proches.
— Tu joues, tu gagnes, dit Carlo. J’achète un
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