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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Et moi, un de mes enfants, toi surtout, je
croyais pas.
    Il s’arrêtait, elle essayait de reprendre la valise,
heureuse, mais il repartait d’un pas vif.
    — Mon père, continuait-il, pauvre homme, et lui, il
savait lire, s’il t’avait vue, il aurait été si fier.
    Il s’essuyait le front, allumait une cigarette, regardait à
peine Christiane.
    — Tu reviens alors ?
    Ils étaient complices. Ils prenaient leur temps. Elle
n’osait pas lui dire : « Tu vois ta fille, c’est toi qui dois être
fier, parce que c’est toi, pour toi, grâce à toi. »
    — En somme, continuait Dante, c’est si difficile que ça ?
Tu vas enseigner quoi maintenant, les écrivains ?
    Ils traversaient le jardin où Christiane avait souvent joué.
Elle s’asseyait pour qu’il puisse se reposer, parce qu’elle avait besoin de
rester encore seule avec lui avant de retrouver la mère. Devant Denise, Dante
se tairait, revêtirait la défroque du vaincu et Christiane serait à nouveau
engluée dans leur marécage.
    — La littérature, oui, répondait-elle.
    Elle était rassurée, elle croyait qu’il comprenait. Elle
avançait, dévoilait ses projets :
    — Réfléchis papa, si peu d’ouvriers dans les romans,
essayer, analyser les causes de cette absence, une vie d’ouvrier après tout,
c’est aussi un sujet tragique ?
    Dante Revelli paraissait attentif, tenant la cigarette entre
le pouce et l’index, la cachant dans ses doigts repliés. Ecoutait-il vraiment ?
    — Tu comprends ? répétait Christiane.
    — Tu vas encore étudier, disait-il en soulevant la
valise, en recommençant à marcher, puis il l’attendait. Et si tu te mariais ?
demandait-il.
    Le gain, la perte.
    Elle leur rapportait le gain et ils parlaient de la perte.
    Christiane ne répondait pas à son père, elle se laissait envelopper
par la ville bruyante, dépoitraillée, elle marchait vers le soleil qui suintait
des façades, la contraignait à détourner la tête. Elle avait lu dans la lumière
poussiéreuse des bibliothèques, lu encore quand le bord des yeux brûle, qu’on
les ferme un instant et les mots dérivent dans la nuit peuplée.
    Qui comprendrait qu’elle craignait cette blancheur brutale
de la ville ? Qu’elle arrivait à Nice différente, porteuse d’une ruche bourdonnante,
son gain, quatre années de phrases agglomérées, compactes, et Dante répétait :
    — Tu ne veux pas te marier ?
    Dans cette ville, que valaient les livres ? Le silence ?
    Les façades étaient en marbre, prétentieuses comme les
bagues trop lourdes d’une femme entretenue ou la cravate voyante d’un de ces
bellâtres pour qui, sur la Promenade des Anglais, toutes les passantes sont des
proies. Ville maquillée dont Christiane avait oublié la langue. Là, ce qu’elle
avait gagné n’avait pas cours. Le dégoût, le désespoir d’être revenue.
     
    — Nice, Mademoiselle Revelli, avait dit l’inspecteur
général en la recevant après le concours, un poste de fin de carrière.
    Finir déjà, alors que rien n’a commencé.
    Christiane regardait son père, s’efforçant à sourire,
repoussait le souvenir d’Alain. « Et si on se mariait, avait dit tant de
fois Alain en essayant de l’enlacer. Pourquoi pas ? » Elle l’avait
tenu à distance, les mains sur sa poitrine et il saisissait ses poignets « Tu
es folle, continuait Alain, cette agreg, mais c’est l’ambition ? Quoi ? »
    La rage plutôt, ce père qu’elle avait vu si souvent baisser
la tête devant sa femme. Denise avec son visage boudeur, sa bouche de petite fille
avide, qui récitait le long monologue, la litanie de l’amertume, des illusions,
du trop tard maintenant, de la jeunesse perdue à cause de Dante. La rage de la
venger elle aussi, qui aurait pu, dû. La rage pour ne pas être comme eux, qui
avaient cédé, grains qui ne germent pas, et pourrissent dans la terre.
    Christiane tentait d’expliquer cela à Alain dans ce café de
la place de la Sorbonne où ils se retrouvaient.
    — J’ai appris, disait-elle, qu’il faut d’abord être
soi, jusqu’au bout, après, on peut partager avec quelqu’un, pas avant, pas en
renonçant. Je veux l’agreg c’est tout.
    Alain passait sa main ouverte dans ses cheveux noirs
bouclés, se grattait la tête.
    — Tu es une puritaine, et ça ne mène à rien. Tu es
impatiente, pourquoi ?
    Il avait le temps de ceux qui vivent depuis des générations
dans la liberté d’être ce qu’ils désirent. Le temps bourgeois

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