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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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étrangers.
    Carlo, bras croisés, était adossé à la scène. Il avait envie
de saisir une chaise et de l’envoyer à toute volée dans ce groupe mais il avait
demandé sa naturalisation et il essayait de ne pas les écouter, de ne pas les
voir. Pipi, macaroni, Piémontais, Italien, qu’est-ce que ça voulait dire ?
Qu’est-ce qui leur prenait ? Deux hommes, élégants comme des messieurs, de
ceux qui passent sur la promenade des Anglais, au bras de leurs femmes,
s’approchèrent de Carlo. L’un d’eux, une courte moustache taillée en brosse,
tendit le doigt vers Carlo.
    — Français ?
    Le corps de Carlo résonna des saccades de son sang, un coup,
un coup, elles le secouaient, martelant ses tempes, irriguant douloureusement
les jugulaires, un coup, un coup.
    — Tu as entendu la question de Monsieur, dit l’autre.
    Il touchait la poitrine de Carlo du pommeau de sa canne.
Carlo lentement du revers de sa main écarta le pommeau.
    — C’en est un sûrement, cria en se retournant vers le
groupe resté en retrait à l’entrée du café, l’homme à la moustache courte.
    Cinq ou six hommes entourèrent Carlo.
    — Il sent la bouse de vache, dit l’un.
    — Il s’est fait dessus.
    Il y eut des rires, quelqu’un cracha vers Carlo. Le patron du
café essaya de s’approcher.
    — Laissez-le, voyons, disait-il, laissez-le, je le
connais.
    Carlos vit une canne qui se levait pour le frapper, il
l’arracha d’une seule main et il se mit à faire des moulinets la tenant maintenant
à deux mains, les jambes pliées, écartées, les pieds solidement collés au sol,
il cria :
    — Qu’est-ce que vous voulez, qu’est-ce que vous voulez ?
    Il évita une bouteille que quelqu’un lui lançait du fond de
la salle.
    — C’en est un. C’en est un.
    Un tabouret vola, frappant Carlo aux genoux, le
déséquilibrant, et avant qu’il ait pu réagir, trois ou quatre hommes étaient
sur lui, le bourrant de coups de pied, de coups de canne. Il se débattait,
retrouvant instinctivement la position de défense de son enfance, les poings
fermés, les coudes protégeant la tête et les yeux, criant entre ses dents
serrées : « Fils de putain, putains, putains. »
    Le roulement des sifflets des agents de police, les pieds
qui s’écartent du corps de Carlo :
    — Lève-toi, dit une voix.
    Carlo s’appuie sur les mains, il tente de se dresser, mais
il ne peut déplier la jambe, une douleur éclate dans le genou, comme si l’os se
brisait. Putain. Il pense au sentier qui monte à la carrière, au charreton
qu’il faut traîner, aux sacs. Putains. Il réussit à se lever en se tenant au
rebord de la scène. Il a dans la bouche la saveur tiède du sang, la mâchoire
lui fait mal. Dans le café c’est le silence. On le regarde.
    — Alors, tu es tombé, dit un policier goguenard. Tu as
bu ?
    Il a parlé fort et les hommes qui se sont rassemblés dans le
fond de la salle, ceux qui sont entrés en hurlant, se mettent à rire. Les
agents entraînent Carlo qui avance en boitant, la tête baissée. Les autres
sifflent, et quelqu’un crie encore : « Dehors les macaronis »,
puis on entend : « Vive la France ! »
    La nouvelle de l’assassinat du président de la République
Sadi Carnot par l’italien Santo Caserio, était parvenue au début de la soirée
du 24 juin 1894. Devant le siège du journal l’Éclaireur la foule s’était
rapidement agglutinée. De grands panneaux de papier blanc tendu sur lequel un
rédacteur du journal écrivait au charbon les dernières nouvelles, étaient
accrochés sur la façade. L’assassin s’était faufilé entre les cuirassiers de
l’escorte, et d’un coup de poignard avait atteint le foie. Caserio avait crié :
« Vive l’anarchie ! » On l’avait arrêté, malmené, et la foule
lyonnaise rassemblée près de la Bourse pour applaudir le Président, quand elle
avait appris que Caserio était lombard, s’était répandue dans les rues,
saccageant les magasins italiens, criant : « Dehors les macaronis. »
    Devant l’Éclaireur, un badaud avait, reprenant ce
cri, ajouté : « Ils sont tous au café de Turin. » Un cortège
s’était formé, désordonné, descendant l’avenue de la Gare, traversant la place
Masséna, brisant la devanture de la « Feniera », essayant d’entrer
dans le café mais Ugo, le patron, et les terrassiers qui s’y trouvaient,
s’étaient barricadés et le cortège était passé entraîné par quelques hommes

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