Noir Tango
vous.
— Merci.
29.
Léa se fit servir à dîner dans sa chambre, essaya
de lire, tout en surveillant le téléphone. Vers onze heures, n’y tenant plus, elle
se rhabilla et descendit au bar où elle commanda une coupe de champagne, puis
une autre.
— C’est triste de boire seule ainsi.
Rik Vanderveen était debout devant sa table.
Enfin quelqu’un à qui parler ! Léa en oublia ses préventions.
— Vous avez raison, asseyez-vous, Rik. Demandez
du champagne, ce soir j’ai décidé de boire.
— Camarero, una botella de su
mejor champagne. [74]
— Si, señor. [75]
— Avez-vous quelque chagrin à noyer ?…
Dans ce cas, il fallait appeler tonton Rik !
Tonton Rik ! Il était ridicule. Bah, ce
soir elle se contenterait de sa présence. Le serveur apporta la bouteille
demandée, fit sauter le bouchon et servit. Léa leva son verre avant de boire.
— Hmm ! il est bien meilleur que l’autre.
— à votre santé, belle amie… N’est-ce pas hier que vous avez été reçu par la
présidente ?
— Oui, comment savez-vous cela ?
— Les nouvelles vont vite à Buenos
Aires, l’étrange madame Tavernier y était aussi. Une bien belle femme malgré
ses légères cicatrices sur les joues… on dirait des brûlures de cigarettes.
Si elle n’avait pas bu trois verres de champagne,
Léa aurait certainement été plus attentive. Mais là… elle demanda qu’on lui
resservît à boire, ce que Vanderveen fit immédiatement.
— Avez-vous revu la charmante Carmen ?
— Pourquoi me demandez-vous cela ?
— Oh ! par simple curiosité :
il m’avait semblé, à bord, que vous étiez devenues très amies. Malgré ses airs évaporés,
c’est une jeune fille délicieuse.
— Je la vois de temps en temps. Donnez-moi à boire.
— Señorita, una llamada para
usted. [76]
— Gracias. [77]
Léa alla dans la cabine et referma la porte
derrière elle.
— Allô !…
— Léa ?… c’est moi… J’ai appris
pour Carmen… Je t’en supplie, sois très prudente… évite de sortir seule… Je
prends le bateau demain pour Buenos Aires… je passerai te voir dès mon arrivée…
d’accord ?
— Comme tu voudras.
— Tu m’en veux encore pour l’autre soir ?…
Pardonne-moi, je suis jaloux… je t’aime…
« Moi aussi je t’aime, pensa-t-elle, tu
me manques tellement. »
— Allô ?… tu m’entends ?… Parle-moi,
dis quelque chose…
— Tu me manques…
— Je t’entends mal… Allô, allô… tu me
parles ?…
La communication était coupée.
Léa raccrocha lentement, prise d’une envie
folle d’être entre les bras de son amant. Demain ! il serait là demain… Qu’avait-il
dit ?… qu’elle soit prudente. Que risquait-elle ? Léa revint à la
table, songeuse. Ces recommandations de prudences s’appliquaient-elles à Rik
Vanderveen ? Ce Rik Vanderveen dont elle ne parvenait pas à se faire une
idée. Pourtant, à maintes reprises, elle l’avait soupçonné d’être nazi.
— Vous avez l’air soucieux, à quoi
pensez-vous ?
— Je me demandais si vous étiez un nazi.
« Pourquoi ai-je dit cela ? se
dit-elle. Je suis folle. » Elle se sentit rougir.
Pas un muscle de son visage ne bougea. Avec
un sourire ironique, il demanda :
— Pourquoi dites-vous cela ?
Que répondre ?… Il fallait trouver
quelque chose.
— Je ne sais pas, une idée qui m’est
passée par la tête.
— Cela a à voir avec votre appel
téléphonique ?
— Oh non ! pas du tout. Messieurs
Jones et Barthelemy sont bien des nazis ?
— Je n’en sais rien et, si cela était, quel
rapport avec moi ?
Léa finit son verre de champagne, qui fut
aussitôt rempli.
— Il y a beaucoup de nazis en Amérique
du Sud.
— Cela ne prouve pas que j’en sois un.
— C’est juste, disons que c’est une
impression.
— Ce sont des impressions dangereuses. En
avez-vous parlé à vos amis Tavernier ?
Léa but avant de répondre.
— Oui.
— Et que disent-ils ?
— Que vous êtes un citoyen hollandais
au-dessus de tout soupçon.
— Voilà qui doit vous rassurer ?
— En effet, aussi suis-je tout à fait
rassurée.
— Vous m’en voyez ravi. Il n’est pas
bon qu’une jolie tête comme la vôtre ait des pensées pareilles.
— Pourquoi ?
— Parce que cela peut être malsain.
Quel jeu jouait-elle ? Léa, elle-même, se
le demandait. Ce devait être le champagne. Rik ne pouvait pas être un nazi
malgré ses mauvaises
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