Noir Tango
sans doute dans un bombardement ; les recherches entreprises
pour la retrouver n’ont rien donné. Nous nous sommes revus à Munich. Nous avons
retrouvé Daniel à Linz sorti vivant des camps de la mort. Nous avons décidé
tous les deux de nous venger des horreurs subies tout en sachant que la
vengeance est l’arme des faibles. Nous n’avons pas eu trop de mal à ce que
Samuel partage notre point de vue. C’est ici, à Paris, que nous avons rencontré
Amos. Amos a fait partie du commando qui en avril dernier a empoisonné le pain
destiné aux trente-six mille SS prisonniers dans un camp près de Nuremberg. Deux
mille boules de pain sur les quatorze mille prévues furent empoisonnées à l’arsenic ;
un millier de SS seulement moururent. La censure militaire alliée fit tout pour
étouffer l’affaire. Sur le point d’être interrogé par la police américaine, Amos
a réussi à passer la frontière et à trouver refuge en France. Uri Ben Zohar est
un juif de Palestine qui, comme vous le savez, était dans la Brigade juive. Avec
quelques-uns de ses camarades, il a participé à l’exécution de nazis en Italie
et en Allemagne. Mais très vite la Hagana s’est opposée à des projets visant à
tuer le maximum d’Allemands tels l’empoisonnement des réservoirs d’eau de
grandes villes comme Nuremberg, Hambourg ou Francfort, ou l’incendie de Munich
ou Stuttgart. Ordre a été donné de cesser toutes représailles envers les
Allemands et de rentrer en Palestine. À contre-cœur, les vengeurs ont obéi. Uri
a été autorisé à se rendre en France après avoir passé quelques jours au secret
dans une prison clandestine de la Hagana.
— Pourquoi ne pas être allé en Palestine ?
Il y a du travail à faire là-bas, demanda Tavernier.
— J’y ai bien pensé, répondit Uri, mais
nous sommes quelques-uns à vouloir faire passer la vengeance avant l’État hypothétique
d’Israël, ce qui va à l’encontre des chefs de la communauté juive de Jérusalem.
Bien que certains se disent prêts à nous aider, la plupart n’ont qu’un objectif :
la création de l’État hébreu. Nous, nous pensons qu’Israël ne peut pas exister
si ses millions d’enfants, morts sans sépulture, ne sont pas vengés. Voilà
pourquoi nous sommes quelques-uns qui allons traquer les nazis, où qu’ils se
trouvent dans le monde, et les tuer.
Pendant un moment, il y eut un silence
peuplé des souvenirs douloureux de chacun. Ce fut Sarah qui le rompit.
— François, avez-vous des questions à nous
poser ?
— Oui… Il va falloir beaucoup d’argent
pour entreprendre ces opérations. En avez-vous ?
— L’argent n’est pas un problème, nous
l’avons, répondit Samuel.
— D’où vient-il ?
— D’organisations juives et non-juives
chargées de recruter des fonds à travers le monde pour notre cause. Au début, certains
d’entre nous n’ont pas hésité à commettre des hold-up, maintenant ce n’est plus
nécessaire.
— Avez-vous participé à des exécutions ?
— Pas encore, répondit Samuel.
— Moi oui, dit Uri.
— Moi aussi, dit Amos, à plusieurs.
François Tavernier se tourna vers Daniel.
— J’attends ce moment avec impatience.
Il ne questionna pas Sarah ; il
connaissait la réponse.
— Vous qui revenez d’Argentine, quelle
est la situation là-bas ? demanda-t-elle.
— à Buenos Aires, dans les milieux péronistes, j’ai eu connaissance de l’arrivée d’un
certain nombre de familles allemandes qui ont été accueillies par des
compatriotes installés en Argentine avant la guerre, la plupart munies de passeports
argentins, américains ou de la Croix-Rouge internationale, quelques-uns avec
des passeports diplomatiques délivrés par les chevaliers de l’Ordre de Malte, plus
rarement de pièces d’identité françaises. Les colonies allemandes d’Amérique du
Sud sont puissantes et nombreuses tant au Chili qu’au Brésil et qu’en Argentine,
en passant par l’Équateur, l’Uruguay, la Bolivie et le Paraguay. Beaucoup d’hommes
politiques de ces pays sont d’origine allemande. Les filières d’évasion n’ont
pas eu beaucoup de mal à se mettre en place. Il est bon de savoir que dès le
début de la guerre, des relations importantes se sont nouées entre de hauts
dignitaires nazis et leurs homologues argentins. Malgré la rupture des
relations diplomatiques entre l’Allemagne et l’Argentine en janvier 1944, l’opération Aktion Feuerland [13] , lancée
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