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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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de sommeil. Elles embrassèrent Ruth qui posa devant elles une assiette
de tartines beurrées.
    — J’aurais préféré des croissants, dit
Laure en bâillant.
    — Il faudra te contenter de pain, ma
vieille, rétorqua Léa en s’étirant avec un grognement.
    — Des croissants ! Pourquoi pas de
la brioche, bougonna la gouvernante.
    Pourquoi riaient-elles, ces deux gamines ?…
C’était trop fort. L’air furieux de la brave femme les faisait rire de plus
belle.
    — Eh bien, on n’a pas l’air de s’ennuyer
ici, dit Alain en entrant.
    Il avait dû se renverser une bouteille d’eau
de Cologne sur la tête, ses cheveux naturellement ondulés étaient soigneusement
aplatis, sa chemise blanche au col trop serré menaçait de l’étrangler, quant à
son costume bleu marine, il n’était pas du meilleur faiseur. Il avait l’air si
empoté, ainsi endimanché, que, passé le moment de surprise où elles le
regardaient bouche bée, tartines en l’air, elles pouffèrent de rire à nouveau. Lisa
entra à son tour en robe de chambre de satin violet, des papillotes plein les
cheveux. C’en était trop ; ce n’étaient plus des rires, mais des cris que
poussaient les deux sœurs. Ruth allait de l’une à l’autre.
    — Calmez-vous, vous allez vous rendre
malades.
    — Mais qu’est-ce qui les fait rire
comme ça ? dit Lisa.
    Léa se leva et, pliée en deux, sortit dans
la « rue », bientôt suivie de Laure hoquetant, le visage rouge
ruisselant de larmes, les mains crispées sur son ventre.
    — Je vais faire pipi, hoqueta-t-elle.
    — Tais-toi… j’ai mal !
    Assises à même le sol caillouteux dans cette
allée qui séparait les bâtiments des granges et des remises, baptisée « rue » dans
leur enfance, elles se tordaient de rire. Sur le seuil de la cuisine, Lisa, Alain
et Ruth les regardaient sans comprendre, l’air stupéfait. Quand enfin elles se
calmèrent, elles étaient cramoisies et en sueur.
    La cérémonie à la
basilique de Verdelais fut simple et émouvante. La mariée, vêtue d’un tailleur
jaune pâle, coiffée d’une sorte de canotier de paille naturelle orné d’une
grosse rose jaune, était ravissante malgré son air traqué et sa pâleur. Elle
regardait avec inquiétude autour d’elle comme si elle s’attendait à voir surgir
une foule hurlante. Alain, la sentant tendue, lui prit la main. Françoise lui
sourit avec gratitude.
    À part les amis proches, il n’y avait
personne : pas un membre de la famille de Bordeaux, pas même ces vieilles
femmes qui, pour rien au monde, n’eussent manqué un mariage ou un enterrement. Par
ces absences, on signifiait qu’on n’oubliait pas le passé. Françoise s’y
attendait, elle avait essuyé suffisamment de rebuffades, d’insultes même depuis
son retour dans le domaine de son père que cela lui fut presque indifférent. Il
n’en était pas de même pour madame Lefèvre, Lisa et Ruth ; les trois
femmes se sentaient humiliées par l’affront. « Il faut les comprendre »,
se disait l’oncle d’Alain, Jules Testard. Laure s’ennuyait dans son élégante
robe de soie bleue d’un grand couturier. À côté de son élégance, Léa se sentait
mal à l’aise dans sa toilette provinciale. Elle ne pouvait s’empêcher de
comparer ce mariage à celui de Camille et de Laurent d’Argilat, la veille de la
guerre. L’église de Saint-Macaire était pleine, la mariée en blanc, les jeunes
filles vêtues de couleurs vives. Léa eut une pensée émue pour celle qu’elle
était à ce moment-là. Les souffrances éprouvées alors étaient bien loin, mais
le souvenir de cette peine, vécue comme un abandon, une trahison, restait très
sensible.
    Après le repas, on repoussa les tables et
les chaises afin de pouvoir danser. C’était une idée de Laure qui y tenait
beaucoup. Elle avait apporté de Paris quantités de disques, on dansa donc. Alain
et Françoise ouvrirent le bal, Laure dansa avec le témoin du marié qui avait
bien du mal à s’adapter aux nouveaux rythmes et Léa avec Jean Lefèvre. Les deux
jeunes gens dansèrent en silence, mélancoliques. La nuit chaude était tombée. Léa
proposa à son ami de faire un tour sur la terrasse. Assis sur le banc de fer, ils
regardèrent le ciel constellé d’étoiles.
    — Oh, une étoile filante ! s’exclama
Léa. Il faut faire un vœu. Allez, fais un vœu.
    —  à quoi bon, je n’en ai qu’un et je sais qu’il ne se réalisera pas.
    Léa lui jeta un coup d’œil ;

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