Noir Tango
elle
savait à quoi il pensait, mais ne pouvait rien pour lui. Doucement, elle posa
sa main sur la sienne.
— Bientôt, tu rencontreras une femme
faite pour toi qui t’aimera, aimera la vigne et te donnera plein de petits
Lefèvre.
Il retira sa main avec agacement.
— Je l’ai déjà rencontrée.
— Que je suis contente ! fit-elle
d’un ton joyeux. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
— Ne te moque pas de moi, c’est de toi
dont il s’agit, tu le sais très bien.
— J’avais cru…
— Rien du tout ! Tu sais que je
suis amoureux de toi depuis toujours. Raoul aussi t’aimait, c’était même un de
tes sujets de plaisanterie. Nous as-tu assez fait tourner en bourrique avec tes
mines de coquette et nous, pauvres imbéciles, qui marchions comme un seul homme…
— Mais c’étaient des histoires d’enfants !
— Pour toi peut-être, mais pas pour
nous. Tous les deux nous voulions t’épouser.
— Mais l’un d’entre vous aurait été
malheureux !
— Sans doute, mais tu ne pouvais pas
nous épouser tous les deux.
Le souvenir de leur nuit à trois se fit
présent à leur esprit. Gênés et troublés, ils se turent. Heureusement, l’arrivée
de Laure et de son cavalier fit diversion.
— Je me doutais bien que je vous
trouverais ici, dit-elle en s’asseyant aux côtés de Jean. Quelle belle nuit, une
vraie nuit de noces.
À son tour, elle resta un instant
silencieuse, contemplant le ciel avant de reprendre.
— Tu viens toujours avec moi à Paris ?
demanda-t-elle à Léa.
— Oui, si tante Albertine va toujours
bien.
— Comment, tu vas à Paris et tu ne m’en
as rien dit ?
— Je n’étais pas encore décidée.
— Tu ne peux pas te passer de Tavernier,
c’est ça ?
— Cela ne te regarde pas, je vais où je
veux.
— Arrêtez de vous disputer tous les
deux, dit Laure. C’est moi qui ai demandé à Léa de venir passer quelques jours
à Paris avant les vendanges. Elle a bien le droit de prendre un peu de vacances.
Jean se leva lourdement.
— Bien sûr qu’elle en a le droit, dit-il
en s’éloignant.
— Pauvre Jean, tu es dure avec lui, dit
Laure.
— Mais je ne le fais pas exprès. Je l’aime
beaucoup, ce n’est pas de ma faute s’il est amoureux de moi.
— Tu ne lui as jamais dit la vérité au
sujet de François ?
— Non, mais tout le monde est au
courant, il ne pouvait pas l’ignorer.
— Il aurait mieux valu que tu le lui
dises.
— Tu m’agaces, tu ne vas pas me faire
la morale toi aussi. Est-ce que je te fais la moindre observation sur la
manière dont tu vis à Paris ?
— D’accord. Parlons d’autre chose. Quand
vous mariez-vous François et toi ?
— C’est une manie ! Tante Albertine,
Françoise, Ruth et maintenant toi, il faut que vous me parliez mariage. Je n’en
sais rien, un jour, peut-être, nous ne sommes pas pressés.
— Et si tu tombes enceinte ?
— On verra à ce moment-là. Cela peut t’arriver
à toi aussi.
— Arrête, ne parle pas de malheur !
Moi je n’ai pas de Tavernier sous la main.
— Je te fais confiance. Débrouillarde
comme tu l’es, tu trouveras bien un brave pigeon.
Laure haussa les épaules et changea de
conversation.
— Que dirais-tu si nous partions dans
deux jours ? Tu en as déjà parlé à tante Albertine ?
— Oui, vaguement tout à l’heure. Elle a
eu un drôle de sourire en me disant : « Amuse-toi bien, ma fille. »
Tu crois qu’elle va mieux ?
— Tu l’as vu comme moi, elle a
meilleure mine malgré sa maigreur et elle est restée pas mal de temps en bas à
bavarder avec madame Lefèvre et Lisa.
— Oui… Mais je ne peux m’empêcher d’être
inquiète. J’ai l’impression qu’elle nous cache quelque chose.
— Si c’était grave, le médecin nous l’aurait
dit.
— Tu dois avoir raison. C’est d’accord,
on part dans deux jours. Je ne suis pas fâchée de quitter Montillac pour
quelque temps : je me sens, je ne sais pas pourquoi, comme « enfermée ».
— Tu vas voir, on va faire la fête, on
dansera toutes les nuits.
14.
François Tavernier les attendait à la gare d’Austerlitz.
Dès qu’elle le vit, Léa se précipita dans ses bras, laissant Laure s’occuper
des bagages. Quand ils se désenlacèrent, le spectacle de Laure traînant les
lourdes valises, l’air furibond, les fit rire.
— Au lieu de rire bêtement, vous feriez
mieux de m’aider. Vous aurez tout le temps de vous embrasser plus tard.
François
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