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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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trouvaient. Cependant, ils s’écartèrent pour la laisser passer et comme
elle était absorbée par le but de sa promenade et son objet, elle fut moins prompte
à percevoir quoi que ce fût que si elle avait eu l’esprit libre. Elle arriva à Marlborough
Street avant de se rendre à l’évidence : il régnait dans cette foule un énervement
notable et une irritation oppressante ; autour d’elle l’atmosphère était menaçante,
moralement et physiquement. De chaque étroite ruelle menant à Marlborough Street
s’élevait une lointaine rumeur, comme celle de milliers de voix furieuses et indignées.
Les habitants de toutes les pauvres maisons sordides étaient rassemblés devant leurs
portes et leurs fenêtres, quand ils n’étaient pas carrément debout au milieu des
rues étroites. Tous fixaient un point précis. C’était vers Marlborough Street même
que convergeaient tous ces regards, qui manifestaient des émotions aussi intenses
que variées. Certains étaient brûlants de colère, d’autres lourds de menace et implacables,
d’autres enfin suppliants. Et lorsque Margaret atteignit la petite entrée latérale
à côté des portes à battants, dans le grand mur aveugle de la cour de l’usine, elle
se retourna en attendant que le portier réponde à sa sonnerie. Elle entendit alors
le premier grondement lointain de l’orage et vit la première vague de la foule sombre
se soulever lentement, dresser sa crête menaçante, retomber et refluer à l’autre
extrémité de la rue qui, quelques instants plus tôt, semblait pleine de bruit refoulé,
mais où régnait à présent un silence alarmant. Tous ces détails s’imposèrent à la
conscience de Margaret sans toutefois pénétrer jusqu’à son cœur préoccupé. Obsédée
par la pression et le fil du couteau qui allait bientôt la transpercer et la laisser
orpheline, elle n’en comprit pas la signification profonde. Elle s’efforçait de
prendre conscience de cette idée afin d’être capable de réconforter son père le
moment venu.
    Le portier ouvrit la porte avec précaution, pas assez largement
pour la laisser entrer.
    — C’est vous, Miss ? demanda-t-il.
    Avec une grande inspiration, il ouvrit un peu plus, mais pas
complètement. Dès que Margaret fut entrée, il se hâta de refermer le verrou derrière
elle.
    — Ils arrivent tous par ici, on dirait ? fit-il.
    — Je ne sais pas. Il semble se passer quelque chose, mais
je crois que cette rue-ci est vide.
    Elle traversa la cour et monta les marches de la maison. A proximité,
aucun bruit, pas de halètement ni de battement de machine à vapeur, pas de cliquetis
de machines diverses, pas de concerts plus ou moins discordants de voix perçantes.
Mais au loin le grondement sinistre s’enflait pour se muer en clameur profonde.

 
     
     
     
     
     
     
     
     
    CHAPITRE
XXII
     
    Un coup et ses conséquences
     
     
     
    Le travail
se faisait rare, le pain augmentait
    Et les
salaires baissaient ;
    Des hordes
d’Irlandais offraient leurs bras d’acier,
    Pour
faire à notre place un travail mal payé.
    Vers
inspirés par les lois sur les céréales
    Eliott [52] .
     
     
    Margaret fut conduite au salon, qui avait retrouvé ses housses
et son aspect habituel. Les fenêtres, entrouvertes à cause de la chaleur, et les
stores vénitiens baissés sur les vitres laissaient pénétrer une lumière triste et
grise, réfléchie par le trottoir en contrebas. Elle déformait les ombres portées
et se combinait à la lumière verdâtre venant du haut si bien que Margaret, lorsqu’elle
se vit dans le miroir, se trouva un visage blafard et un teint terreux. Elle s’assit
et attendit, mais personne ne vint. Par intervalle, on avait l’impression que le
grondement de la multitude se rapprochait avec le vent. Or il n’y avait pas de vent !
Entre-temps, il régnait un profond silence.
    Enfin, Fanny apparut.
    — Maman ne va pas tarder, Miss Hale. Elle me prie de
vous transmettre ses excuses pour cette attente. Vous le savez peut-être déjà, mon
frère a fait venir des ouvriers d’Irlande, ce qui a considérablement irrité les
gens de Milton. Comme s’il n’avait pas le droit de trouver de la main-d’œuvre où
il peut. Or les imbéciles d’ici refusent de travailler pour lui. Et à force de menaces,
ils ont tellement effrayé ces crève-la-faim irlandais que nous n’osons plus les
laisser sortir. Vous les voyez là-bas, entassés dans cette salle en haut de l’usine.
Ils doivent y

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