Nord et sud
Margaret.
— Oui, Miss. Maintenant, c’est sauve-qui-peut. Demain, faudra
qu’elles s’ouvrent grandes, les portes des usines, pour laisser entrer tous ceux
qui demanderont à travailler, même si c’est seulement pour montrer qu’ils ont rien
à voir avec une manœuvre qui, si on avait eu du poil au cœur, aurait fait monter
les salaires à un taux plus élevé qu’on les a vus depuis dix ans.
— Et vous, vous aurez de l’ouvrage, n’est-ce pas ?
demanda Margaret. J’ai entendu dire que vous étiez un excellent ouvrier.
— Hamper me laissera travailler dans sa fabrique quand il
se coupera la main droite, pas avant, pas après, répondit tranquillement Nicholas.
Margaret, navrée, fut réduite au silence.
— À propos des salaires, dit Mr Hale, sans vouloir
vous offenser, je crois que vous avez commis quelques erreurs graves. Je voudrais
vous lire quelques remarques d’un livre que j’ai ici.
Il se leva et se dirigea vers sa bibliothèque.
— Vous donnez donc pas cette peine, monsieur, dit Nicholas.
Ce qui est écrit dans les livres, ça m’entre par une oreille, ça me sort par l’autre.
Je peux rien en tirer. Avant que Hamper et moi, on ait eu des mots, le contremaître
lui a dit que je montais la tête aux autres pour qu’ils réclament une augmentation.
Alors un jour, je vois Hamper dans la cour avec un petit livre à la main. Il me
fait comme ça : « Higgins, on me dit que vous êtes un de ces crétins qui
croient qu’il suffit de demander une augmentation pour l’avoir, et que vous la conserverez
une fois que vous l’aurez eue de force. Maintenant, je vais vous donner une chance,
et voir si vous avez pour deux sous de bon sens. Voilà un livre écrit par un de
mes amis ; si vous le lisez, vous verrez comment les salaires trouvent leur
niveau sans que les patrons ou les ouvriers aient à intervenir ; sauf que les
ouvriers, en faisant la grève, ils scient la branche où ils sont assis, comme les
cornichons qu’ils sont. » Bon, alors, monsieur, je vous le demande à vous qu’êtes
pasteur, qu’avez l’habitude de faire des prêches, et qu’avez souvent essayé d’amener
les gens à partager votre façon de voir parce que vous croyez qu’elle était juste,
je vous le demande : est-ce que vous commenciez par les traiter de crétins
et autres noms d’oiseaux ou est-ce que vous commenciez pas plutôt par les amadouer
au départ pour les disposer à écouter et à être convaincus ? Et pendant que
vous prêchiez, est-ce que vous vous arrêtiez à chaque instant pour dire, moitié
aux autres, moitié à vous : « Mais avec une bande de crétins pareils,
j’ai vraiment l’impression de perdre mon temps ? » C’est vrai que j’étais
peut-être pas dans les meilleures dispositions pour comprendre ce qu’il voulait
dire, l’ami de Hamper, tellement j’étais furieux de la façon qu’il avait eue de
me le présenter. Mais je me suis dit : « Allons, voyons ce que ces gars-là
ont à dire, et voyons si c’est nous les cornichons, ou si c’est eux. » Alors,
j’ai pris le livre et je me suis cramponné. Mais que Dieu me pardonne, ça parlait
que de capital et de main-d’œuvre, de main-d’œuvre et de capital, que ça m’en est
tombé des mains. Jamais j’ai pu savoir duquel il causait ; et il en causait
comme si c’était des vertus ou des vices. Moi, ce que je voulais connaître, c’était
les droits des hommes, qu’y soyent riches ou pauvres, vu que c’est tous des hommes.
— Malgré tout, dit Mr Hale, et même si on admet sans
réserve que la façon dont Mr Hamper vous a parlé en vous recommandant de lire
le livre de son ami était offensante, absurde et dépourvue de charité, il n’empêche
que si ledit livre a confirmé ses propos, à savoir que les salaires trouvent leur
propre niveau et que la grève la mieux réussie ne peut les faire grimper qu’un court
moment avant qu’ils ne redescendent encore plus bas à cause d’elle.
— Vous savez, monsieur, dit Higgins avec une certaine obstination,
c’est selon. Y a deux façons de voir la chose, deux opinions. Mais même à supposer
que ça soye vrai de vrai, ça sera pas vrai pour moi si j’y entends rien. Tenez,
ce livre en latin, là, sur vos étagères, il doit dire des choses vraies, mais pas
pour moi, parce que c’est du charabia, vu que je comprends rien aux mots. Maintenant,
monsieur, si vous, ou un autre monsieur instruit et patient, veut bien m’aider
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