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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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vrai ! N’empêche que c’est pas un dur à cuire :
il aurait pas tardé à se plaindre de ses malheurs à lui. Il était pas du genre à
souffrir en silence.
    — Comment se fait-il qu’il soit entré au syndicat ?
demanda innocemment Margaret. Vous ne semblez pas avoir grand respect pour lui,
ni gagné grand-chose à l’avoir parmi vous.
    Le front de Higgins s’assombrit, et il resta une ou deux minutes
sans rien dire. Puis, d’une voix sèche, il déclara :
    — C’est pas à moi de parler au nom du syndicat. Il fait
ce qu’il a à faire ; quand on a le même métier, faut se serrer les coudes ;
et ceux qui veulent pas prendre le risque de suivre les autres, le syndicat a les
moyens de les faire obéir.
    Voyant que le tour pris par la conversation déplaisait à Higgins,
Mr Hale garda le silence. Mais Margaret, qui percevait pourtant aussi bien
que lui la réaction de leur hôte, n’imita pas son père. Elle sentait d’instinct
que si on l’amenait à s’exprimer clairement, une base s’établirait, leur permettant
de débattre de ce qu’ils estimaient chacun être juste et bon.
    — Et quels sont-ils, ces moyens dont dispose le syndicat ?
    Higgins leva les yeux vers elle, comme s’il était prêt à opposer
une résistance obstinée à son désir d’information. Mais en voyant le visage calme
de Margaret tourné vers le sien, patient et confiant, il se sentit obligé de répondre.
    — Vous comprenez, si un homme fait pas partie du syndicat,
ceux qui travaillent aux métiers voisins du sien ont l’ordre de pas lui adresser
la parole, et s’il est triste ou malade, c’est du pareil au même. Il est en dehors ;
il est pas des nôtres. Il vient chez nous, il travaille avec nous, mais il est pas
des nôtres. Y a des endroits où ceux qui lui parlent sont mis à l’amende. Essayez
voir, Miss ; essayez de vivre un an ou deux au milieu de gens qui tournent
la tête quand vous les regardez ; essayez de travailler à deux mètres de tas
de gens qui ont au cœur, vous le savez, du mauvais vouloir contre vous ; des
gens à qui vous aurez beau dire que vous êtes content, jamais vous verrez un œil
qui brille ou des lèvres qui remuent ; à qui, si vous avez le cœur lourd, vous
pourrez pas parler, parce qu’ils feront pas attention à vos soupirs ou à votre air
triste (et un homme est pas un homme s’il se met à se plaindre tout fort que personne
s’inquiète de lui) ; oui, Miss, essayez voir, dix heures par jour pendant trois
cents jours, et vous aurez une idée de ce que c’est, le syndicat.
    — Par exemple ! s’écria Margaret, mais c’est de la
tyrannie ! Mettez-vous en colère, je m’en moque. Je sais que même si vous le
vouliez, vous n’arriveriez pas à être en colère contre moi, et je ne peux pas me
taire : jamais, dans tout ce que j’ai lu sur l’histoire, je n’ai rien vu qui
soit une torture plus lente et plus cruelle. Quand je pense que vous faites partie
du syndicat ! Et que vous parlez de la tyrannie des patrons !
    — Ah, vous pouvez bien dire tout ce que vous voulez, s’exclama
Higgins, celle qui est morte se dresse entre vous et toutes mes paroles de colère.
Est-ce que vous croyez que j’oublie qui est là-bas sur son lit de mort, et comme
elle vous aimait ? Si le syndicat est à blâmer, c’est les patrons qui sont
les premiers responsables. Peut-être pas ceux de cette génération-ci, mais leurs
pères. Leurs pères ont réduit les nôtres en poussière ! Ah, pasteur, je crois
me souvenir d’un texte que ma mère me lisait : « Les pères ont mangé des
raisins verts, et les dents des fils ont été agacées [70] . » C’est leur
cas. Les syndicats sont apparus à une période où on était durement opprimés ;
ils étaient une nécessité à l’époque. C’est pareil maintenant, d’après moi. Le syndicat,
il sert à résister à l’injustice passée, présente et à venir. C’est un peu comme
une guerre : elle entraîne des crimes, mais si on faisait rien, ce serait un
crime encore pire. Notre seule chance de salut, c’est de se serrer les coudes en
vue de l’intérêt commun. Et si dans le lot, y a des lâches et des imbéciles, faut
qu’ils marchent avec nous, parce que notre seule force, c’est le nombre.
    — Ah ! soupira Mr Hale, votre syndicat en lui-même
serait une belle chose, une chose admirable, il serait l’incarnation de l’idéal
chrétien s’il poursuivait un but qui cherche à faire le bien de

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