Nord et sud
tous, au lieu de
celui d’une classe par opposition à une autre.
— Je crois qu’il est grand temps que je rentre, monsieur,
dit Higgins en entendant l’horloge sonner dix heures.
— Chez vous ? demanda doucement Margaret.
Il comprit son souci et prit la main qu’elle lui tendait.
— Chez moi, Miss. Vous pouvez me faire confiance, Miss,
même si j’appartiens au syndicat.
— Je vous fais totalement confiance, Nicholas.
— Attendez ! dit Mr Hale en se précipitant vers
sa bibliothèque. Mr Higgins, je suis sûr que vous ne refuserez pas de vous
joindre à notre prière familiale.
Higgins tourna la tête vers Margaret, l’air perplexe. Le regard
grave et plein de douceur de la jeune fille rencontra le sien : il n’exprimait
qu’une profonde sollicitude, dépourvue de toute insistance. Il ne répondit rien,
mais resta à sa place.
Margaret l’anglicane, son père le dissident et Higgins le mécréant
s’agenouillèrent ensemble. Cela ne leur fit aucun mal.
CHAPITRE
IV
Un rayon de soleil
« De
multiples désirs me traversaient l’esprit,
Et le
réconfortaient obscurément ;
Quelques
pauvres plaisirs mélancoliques
Dont
les ailes fragiles s’argentaient
Au jour
froid de l’espoir, voletaient en silence
Comme
des papillons dans un rayon de lune . »
Coleridge [71] .
Le lendemain matin, Margaret reçut des nouvelles d’Edith. La
lettre ressemblait à celle qui l’avait écrite : affectueuse et inconséquente.
Mais l’affection qu’elle exprimait fut un baume au cœur tendre de Margaret qui,
ayant grandi dès l’enfance avec cette inconséquence, ne la percevait pas. La missive
disait :
— Oh, Margaret, cela vaut la peine de faire le voyage d’Angleterre
pour voir mon fils ! C’est un enfant superbe, surtout avec ses bonnets, et
surtout avec celui que tu lui as envoyé, cousu par des petites mains habiles et
assidues ! Après avoir provoqué l’envie de toutes les mères d’ici, je veux
montrer mon fils à d’autres yeux, et entendre des expressions d’admiration nouvelles.
Est-ce la seule raison pour laquelle j’ai grande envie de te voir ? Peut-être
que oui, peut-être que non : oh, sans doute y a-t-il aussi là un peu d’affection
de cousine : ceci dit, je souhaite de tout mon cœur que tu viennes, Margaret !
Je suis sûre que cela ferait un bien fou à ma tante : ici, tout le monde est
jeune, tout le monde se porte à merveille ; notre ciel est toujours bleu, notre
soleil brille sans cesse, et la fanfare joue du matin au soir les airs les plus
charmants. Pour revenir au refrain de ma chanson, mon bébé sourit constamment. Je
meurs d’envie que tu le dessines pour moi, Margaret. Peu importe ce qu’il fait,
c’est toujours la chose la plus jolie, la meilleure et la plus gracieuse du monde.
Je crois que je l’aime mille fois plus que mon époux, qui prend du poids et devient
grognon – lui, il appelle cela « être occupé ». Non ! J’exagère.
Il vient d’entrer pour m’annoncer que les officiers du Hazard, qui est à l’ancre
dans la baie d’en bas, vont donner en notre honneur un charmant pique-nique. Alors,
puisqu’il m’apporte une nouvelle aussi agréable, je retire tout ce que je viens
d’affirmer. Quelqu’un ne s’est-il pas brûlé la main pour avoir dit ou fait quelque
chose qu’il regrettait [72] ?
Moi, je ne suis pas disposée à brûler la mienne : d’abord parce que cela me
ferait mal, ensuite parce que la cicatrice serait laide ; mais je me vais me
rétracter aussi vite que possible. Cosmo est aussi adorable que le bébé, et il n’a
pas du tout engraissé. Il est aussi peu grognon que peut l’être un mari ; seulement,
parfois, il est très, très occupé. Je peux dire sans commettre un crime de lèse-époux
– où en étais-je ? J’avais quelque chose de très précis à te dire, je le sais.
Ah ! Cela me revient. Chère Margaret, il faut absolument que tu viennes me
voir ; cela ferait le plus grand bien à ma tante, je le répète. Demande au
docteur de lui prescrire le voyage. Dis-lui que c’est la fumée de Milton qui lui
fait du mal. Au reste, je suis persuadée que c’est le cas. Trois mois (car vous
ne pouvez rester moins) de ce climat délicieux – du soleil, des raisins qui poussent
comme les mûres chez nous – la rétabliraient à coup sûr. Je n’ose inviter mon oncle
(ici, la lettre devenait plus contrainte et
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