Nord et sud
comment tu as agi, mais non pourquoi tu
as agi ainsi, à savoir que ton motif, loin d’être criminel, n’était que le désir
de protéger héroïquement le faible. Pour l’amour de Dolores, cela devrait être porté
à la connaissance de tous.
— Mais comment veux-tu que je le fasse savoir ? Je
ne suis pas assez sûr de l’impartialité et de l’intégrité de ceux qui me jugeraient
pour me livrer à une cour martiale, même si je pouvais produire une brochette de
témoins prêts à dire la vérité. Je ne peux envoyer un héraut dans les rues proclamer
ce que tu as la bonté d’appeler mon héroïsme. Même si je publiais une plaquette
pour me justifier, personne ne la lirait, si longtemps après les événements.
— Accepterais-tu de consulter un avocat pour connaître tes
chances de réhabilitation ? demanda Margaret en levant les yeux sur lui et
en rougissant comme une pivoine.
— Il faut d’abord que je le trouve, cet avocat, que je l’observe
et que je voie s’il me plaît, avant de me confier à lui. Plus d’un avocat sans cause
s’arrangerait avec sa conscience et penserait pouvoir facilement gagner cent livres
en faisant une bonne action, et en livrant un criminel tel que moi à la justice.
— Allons, Frederick, tu dis des bêtises ! Je connais,
moi, un avocat sur l’honneur duquel je peux compter, et dont l’habileté dans sa
profession est hautement appréciée. Je crois qu’il ferait tout pour rendre service
à un parent de... à un parent de notre tante Shaw. Papa, je pense à Henry Lennox.
— C’est une bonne idée, dit Mr Hale. Mais ne propose
rien qui retienne Frederick en Angleterre, je t’en supplie au nom de ta mère.
— Tu pourrais aller à Londres demain soir par le train de
nuit, continua Margaret, de plus en plus convaincue de l’intérêt de son projet.
Il doit partir demain, je le regrette papa, ajouta-t-elle tendrement ; nous
sommes tombés d’accord là-dessus à cause de l’arrivée de Mr Bell et de la fâcheuse
rencontre faite par Dixon.
— Oui, il faut que je parte demain, dit Frederick d’un ton
décidé.
Mr Hale laissa échapper un gémissement.
— Je ne peux supporter l’idée de me séparer de toi, mais
je serai rongé d’inquiétude tant que tu resteras ici.
— Alors, dit Margaret, voici ce que je propose. Frederick
arrive à Londres vendredi matin. Je vais... tu pourras... non ! Il est préférable
que je lui donne un mot d’introduction pour Mr Lennox. Tu le trouveras dans
son bureau du Temple, Frederick.
— Je ferai une liste de tous les marins de l’ Orion dont je me rappelle les noms. Je pourrais la lui laisser pour qu’il essaie de retrouver
leur trace. C’est le frère du mari d’Edith, n’est-ce pas ? Je me souviens que
tu m’as parlé de lui dans tes lettres. J’ai de l’argent déposé chez Barbour, je
peux donc lui payer des honoraires conséquents s’il estime avoir des chances de
réussir. Cet argent-là, mon cher père, je le réservais à un autre usage ; mais
je considérerai que c’est un emprunt que je vous fais, à Margaret et à vous.
— Il n’en est pas question, dit Margaret. Sinon, tu ne voudras
pas risquer cet argent. Et de fait l’opération comporte des risques ; mais
ils valent la peine d’être courus. Tu peux t’embarquer de Londres aussi facilement
que de Liverpool ?
— Absolument, petite dinde ! Du moment que je sens
de l’eau sous les planches, je suis chez moi. Je trouverai un bateau pour repartir,
ne crains rien. Je ne resterai pas plus de vingt-quatre heures à Londres, où je
suis loin de vous et loin d’une autre personne aussi.
Margaret ne fut pas mécontente de sentir Frederick regarder pardessus
son épaule tandis qu’elle écrivait à Mr Lennox. Si elle n’avait été ainsi poussée
à écrire d’un trait et avec concision, elle eût buté sur plus d’un mot, hésité entre
plusieurs expressions, dans son embarras d’être la première à renouer une relation
dont le dernier épisode avait été déplaisant pour l’un comme pour l’autre. Cependant,
sa lettre lui fut retirée des mains avant même qu’elle ait eu le temps de la relire,
puis soigneusement rangée dans un portefeuille d’où s’échappa une longue mèche de
cheveux noirs à la vue de laquelle les yeux de Frederick se mirent à briller de
plaisir.
— Ah, tu voudrais bien voir cela de plus près, n’est-ce
pas ? Eh bien non ! Tu attendras de la rencontrer en personne.
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