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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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elle voulait éviter d’irriter un homme triste et découragé. Elle finit cependant
par s’y décider, mais avec une voix si douce et une réticence telle qu’on voyait
bien qu’elle n’avait aucunement l’intention de blesser. Higgins ne parut pas agacé
par ses paroles, mais seulement perplexe.
    — Vous souvenez-vous que le pauvre Boucher a déclaré un
jour que le syndicat était tyrannique ? Il a dit que c’était le pire des tyrans,
je crois. Et je me souviens qu’à l’époque, j’ai trouvé qu’il avait raison.
    Higgins ne répondit pas tout de suite. Il avait la tête appuyée
sur les deux mains et regardait le feu, si bien qu’elle ne voyait pas son expression.
    — Je reconnais que des fois, le syndicat force la main aux
ouvriers, mais c’est pour leur bien. Je vous raconterai pas d’histoires. Celui qui
marche pas avec le syndicat, il a pas la vie facile. Mais une fois qu’il y est,
on défend ses intérêts bien mieux qu’il pourrait le faire lui-même, ou que s’il
était tout seul, à plus forte raison. Y a pas d’autre solution : si les ouvriers
veulent qu’on respecte leurs droits, faut qu’ils se serrent les coudes. Plus y a
de membres et plus chaque ouvrier a de chances qu’on lui rende justice. Le gouvernement
veille sur les fous et les imbéciles et si un homme veut se faire du mal ou en faire
à son voisin, on lui met des bâtons dans les roues, que ça lui plaise ou non. C’est
ça qu’on fait, au syndicat, ni plus ni moins. On peut pas mettre les gens en prison,
mais on peut rendre à un homme la vie tellement pénible qu’il est obligé de se joindre
à nous autres, et d’être malin et dévoué malgré lui. Boucher a toujours été un imbécile,
surtout les derniers temps.
    — Il vous a fait du tort ? demanda Margaret.
    — Ah, ça, pour sûr. On avait l’opinion publique de notre
côté, et puis voilà qu’il a pris le parti de ceux qui violaient les lois, et ils
ont commencé l’émeute. Ça a été la fin de la grève.
    — N’aurait-il pas mieux valu le laisser tranquille au lieu
de le forcer à entrer au syndicat ? Il vous a fait du tort, et vous, vous l’avez
rendu fou.
    — Margaret ! souffla son père en manière d’avertissement,
en voyant le visage de Higgins s’assombrir.
    — Elle me plaît, déclara brusquement celui-ci. Elle dit
ce qu’elle pense. C’est pas pour autant qu’elle y comprend quelque chose, au syndicat.
C’est une force, la seule force qu’on ait. J’ai lu un jour un bout de poème où on
parle d’une charrue qui passe sur une pâquerette, même que ça m’a fait venir les
larmes aux yeux avant que j’aie d’autres raisons de pleurer. Mais le gars, il a
pas arrêté de conduire sa charrue, j’en mettrai ma main au feu, même si ça lui a
fait de la peine pour la pâquerette. Il avait trop la tête sur les épaules pour
ça. Le syndicat, c’est comme la charrue, c’est lui qui prépare la terre pour la
moisson. Des gens comme Boucher – on va pas lui faire l’honneur de le comparer à
une pâquerette –, c’est comme des mauvaises herbes qui courent sur le sol, faut
qu’ils acceptent d’être éliminés. Je suis furieux contre lui, à cette heure. Alors,
peut-être que je suis injuste. Je sais que je me ferais un plaisir de lui passer
dessus avec une charrue.
    — Pourquoi ? Que vous a-t-il fait ? Encore du
tort ?
    — Ah ben voyons ! Jamais il manque une occasion de
faire un mauvais coup. D’abord, faut qu’il s’excite comme un fou perdu, et qu’il
déclenche cette émeute. Et puis, faut qu’il aille se cacher, et il serait encore
dans son trou si Thornton l’avait poursuivi comme j’espérais qu’il le ferait. Mais
Thornton, une fois qu’il a eu ce qu’il voulait, il a pas cherché à poursuivre les
émeutiers. Alors voilà Boucher qui rentre chez lui comme un voleur. Il se garde
bien de montrer son nez pendant un jour ou deux. Heureusement, encore ! Et
puis après, où vous croyez qu’il est allé ? Chez Hamper, pardi ! Au diable
votre Boucher. Il y est allé tout sucre et tout miel, que ça me fait mal au cœur
de le regarder quand il prend cet air-là, et il a demandé du travail. Alors qu’il
la connaît, la nouvelle consigne qui oblige les gens à promettre de rien donner
aux syndicats, de rien donner pour aider ceux qui ont été renvoyés et qui crèvent
de faim ! Pourtant, lui, il aurait crevé la gueule ouverte si le syndicat l’avait
pas aidé quand il était dans

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