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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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pouvais... si j’avais le temps de réfléchir à ce
que je dois dire ; mais comme ça, si soudainement...
    Margaret vit que son père en était tout à fait incapable. Il
tremblait des pieds à la tête.
    — J’y vais, dit-elle.
    — Dieu vous bénisse, Miss, c’est faire acte de charité.
Car la pauvre femme est toujours malade et pas mieux, et dans le coin, y’a pas grand-monde
qui la connaît bien.
    Margaret frappa à la porte ; mais le bruit à l’intérieur,
celui de petits enfants turbulents, était si fort qu’elle n’entendit pas de réponse.
En fait, elle se demanda si on l’avait entendu frapper, et comme plus le temps passait,
moins elle avait envie de s’acquitter de sa tâche, elle ouvrit la porte et entra,
refermant derrière elle ; elle poussa même le verrou sans que la femme ne s’aperçoive
de rien.
    Mrs Boucher était assise dans un fauteuil à bascule, de
l’autre côté de la cheminée mal entretenue. Le ménage ne semblait pas avoir été
fait dans la maison depuis plusieurs jours.
    Margaret dit quelques mots, sans savoir lesquels, tant elle avait
la bouche et la gorge sèches. Les enfants faisaient tant de vacarme qu’on ne l’entendit
pas. Elle essaya de nouveau.
    — Comment allez-vous, Mrs Boucher ? On dirait
que vous ne vous sentez pas très bien.
    — Comment je pourrais aller bien, répondit-elle d’une voix
plaintive. Je suis toute seule avec ces enfants, et j’ai rien à leur donner pour
les faire tenir tranquilles. John aurait pas dû me laisser, dans l’état où je suis.
    — Il y a longtemps qu’il est parti ?
    — Ça fait quatre jours. Personne veut lui donner de travail
ici, et il a fallu qu’il aille voir du côté de Greenfield. Mais il aurait dû revenir,
ou me faire prévenir qu’il rentrerait plus tard. Il aurait pu...
    — Oh, il ne faut pas lui en vouloir, s’écria Margaret. Il
devait être bien contrarié, j’en suis sûre...
    — Arrête de faire un raffut pareil, que j’entende ce qu’elle
dit, la dame ! lança-t-elle sans aménité à un petit garçon d’environ un an.
    Elle continua à parler à Margaret sur un ton d’excuse :
    — Il est toujours là à me réclamer « papa » ou
« tatine ». Mais j’ai pas de tartine à lui donner, et papa est parti,
ou il nous a oubliés, je crois bien. C’est le chouchou de son père, celui-là, ajouta-t-elle.
Et, changeant brusquement d’humeur, elle prit l’enfant sur ses genoux et se mit
à l’embrasser tendrement.
    Margaret posa la main sur le bras de la femme pour attirer son
attention. Leurs regards se croisèrent.
    — Pauvre petit, dit lentement Margaret. C’était le chouchou
de son père.
    — C’est le chouchou de son père, rectifia la femme, qui
se leva brusquement pour faire face à Margaret.
    Pendant un instant, elles gardèrent le silence. Puis
Mrs Boucher se mit à parler d’une voix rauque et basse où l’on sentait croître
l’égarement :
    — C’est le chouchou de son père, je vous dis. Les pauvres
aiment leurs enfants aussi bien que les riches. Pourquoi vous dites rien ?
Pourquoi vous me regardez avec ces grands yeux pleins de pitié ? Où est John ?
    Malgré sa faiblesse, elle secoua Margaret pour lui arracher une
réponse.
    — Oh mon Dieu ! s’écria-t-elle lorsqu’elle comprit
le sens des larmes qui emplissaient les yeux de sa visiteuse.
    Elle se laissa retomber dans le fauteuil. Margaret prit l’enfant
et le lui mit dans les bras.
    — Il l’aimait, dit-elle.
    — Oui, répondit la femme en secouant la tête, il nous aimait
tous. Il y avait de l’amour dans cette maison, avant. Ça fait longtemps, mais quand
il était en vie et avec nous, il nous aimait, c’est vrai. C’est peut-être ce bébé
qu’il aimait le plus ; mais il m’aimait et je le lui rendais bien. Je l’appelais
encore il y a pas cinq minutes. Vous êtes sûre qu’il est mort ? insista-t-elle,
essayant de se lever. Si c’est seulement qu’il est malade et en danger de mort,
ils peuvent quand même me le ramener ici. Je suis pas bien vaillante non plus, moi,
et ça fait longtemps que je me traîne.
    — Mais il est mort, vous savez. Noyé.
    — Y a des gens qui reviennent à eux après qu’on les a trouvés
noyés. À quoi j’ai la tête, moi, à rester là assise alors que j’ai tant de choses
à faire ? Allons, mon bébé, chut, tais-toi ! Prends ça, prends ce que
tu veux et joue avec, mais ne pleure pas pendant que mon cœur se brise !

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