Nord et sud
parrain de Frederick ; et
il a pris les dispositions nécessaires pour que nous allions vivre à Milton-Northern.
Mrs Hale garda les yeux levés vers le visage de Margaret
tout le temps qu’elle parlait. L’air sombre de sa fille indiquait qu’elle, en tout
cas, était persuadée de dire la vérité.
— Je ne crois pas que ce puisse être vrai, reprit enfin
Mrs Hale. Il m’aurait sûrement prévenue avant que l’on en arrive là.
Pour Margaret, il était évident que sa mère aurait dû être informée.
Même si elle avait une certaine tendance à se plaindre et à récriminer, son mari
avait commis une erreur en lui laissant apprendre son revirement religieux et le
bouleversement imminent de leur existence par la bouche de sa fille, de surcroît
mieux informée qu’elle. Margaret s’assit près de sa mère, prit sa tête contre son
cœur et s’inclina de façon à poser tendrement sa joue contre son visage.
Mrs Hale se laissa faire sans résistance.
— Oh, maman, maman chérie, nous avons eu si peur de vous
faire du chagrin. Papa était aux cent coups... Vous savez que vous êtes fragile,
et il lui a fallu endurer tant d’affreux moments d’incertitude.
— Quand t’a-t-il annoncé cela, Margaret ?
— Hier, seulement hier, répondit Margaret, percevant la
jalousie qui avait provoqué la question. Pauvre papa, dit-elle, s’efforçant de transformer
les sentiments de sa mère en compassion pour les épreuves que son père avait traversées.
Mrs Hale releva la tête.
— Qu’entend-il par « avoir des doutes » ?
Il ne veut sûrement pas dire que ses idées ne sont pas celles de l’Église et qu’il
en sait plus long qu’elle ?
Margaret secoua la tête et les larmes lui vinrent aux yeux, car
sa mère avait touché le point précis de son chagrin.
— L’évêque ne peut-il le remettre dans le droit chemin ?
demanda Mrs Hale avec quelque impatience.
— Je crains que non. Mais je n’ai pas posé la question.
Je redoutais trop la réponse qu’il aurait pu me donner. Quoi qu’il en soit, tout
est réglé. Il quittera Helstone dans quinze jours. Je ne me souviens pas s’il m’a
dit ou non qu’il avait envoyé sa démission officielle.
— Dans quinze jours ! s’écria Mrs Hale. Comme
tout cela est extravagant et contrariant. Quel manque de cœur chez ton père !
dit-elle, laissant couler des larmes libératrices. Il a des doutes, dis-tu, et il
renonce à sa charge. Tout cela sans me consulter. Je suis certaine que s’il m’avait
parlé de ses doutes dès le début, j’aurais pu les tuer dans l’œuf.
Malgré toutes les réserves qu’elle avait quant à la conduite
de son père, Margaret ne put supporter d’entendre sa mère le critiquer. Elle savait
que le silence même du pasteur procédait de sa tendresse pour son épouse, et que
s’il y avait peut-être là une certaine lâcheté, on ne pouvait lui reprocher son
manque de cœur.
— J’espérais presque que vous seriez contente de quitter
Helstone, maman, dit-elle après une pause. Vous ne vous êtes jamais bien portée
ici, vous le savez.
— Tu ne penses tout de même pas que l’air enfumé d’une ville
industrielle comme Milton-Northern, où l’on ne voit que de la crasse et des cheminées,
sera meilleur que celui qu’on respire ici ! Le nôtre a beau être trop lénifiant,
au moins, il est pur et sain. Quelle idée d’aller vivre au milieu d’usines et de
manufacturiers ! Mais il faut bien se dire que si ton père quitte l’Église,
nous ne serons plus reçus nulle part dans la bonne société. Quelle honte pour nous !
Quand je pense à ce pauvre Mr John ! Heureusement qu’il n’est plus là
pour voir ce qu’est devenu ton père ! Chaque jour, après le dîner, quand j’étais
petite et que j’habitais avec ta tante Shaw à Beresford Court, Mr John portait
toujours le premier toast en ces termes : « À l’Église, au Roi, et à bas
le Parlement croupion [13] ! »
Margaret se réjouit de voir que les pensées de sa mère n’étaient
plus fixées sur la manière dont son mari s’était gardé de lui révéler ce qui avait
dû tant lui tenir à cœur. Après les graves inquiétudes qu’elle nourrissait quant
à la nature des doutes de son père, c’était son long silence qui, dans cette affaire,
peinait le plus Margaret.
— Vous savez, maman, nos fréquentations ici sont des plus
restreintes. Nos plus proches voisins, les Gorman, que nous voyons très peu au
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