Nord et sud
reste,
ont été négociants, au même titre que ces gens de Milton-Northern.
— Certes. Mais les Gorman ont fabriqué les voitures de la
moitié de la bonne société du comté, et ils l’ont fréquentée d’une façon ou d’une
autre, rétorqua Mrs Hale, presque indignée. Rien à voir avec ces manufacturiers :
d’ailleurs, qui accepterait de porter du coton s’il peut s’offrir du lin ?
— Ma foi, maman, j’abandonne la cause des filateurs de coton ;
je ne les défendrai pas plus que les autres négociants. Ceci dit, nous n’aurons
guère de rapports avec eux.
— Mais pourquoi ton père a-t-il choisi Milton-Northern,
grand Dieu ?
— D’abord, dit Margaret en soupirant, parce que l’endroit
est tout à fait différent de Helstone ; ensuite, parce que Mr Bell lui
a dit qu’il y avait des débouchés pour lui comme précepteur.
— Précepteur à Milton ! Mais pourquoi ne peut-il pas
retourner à Oxford et être répétiteur pour des gentlemen ?
— Maman, vous oubliez qu’il quitte l’Église à cause de ses
opinions. À Oxford, ses doutes lui feraient du tort.
Mrs Hale pleura quelques instants en silence. Elle finit
cependant par dire :
— Et les meubles ? Comment allons-nous pouvoir faire
le déménagement ? Jamais je n’ai déménagé, et nous n’avons que quinze jours
pour tout organiser !
Margaret fut infiniment soulagée de voir que l’inquiétude et
le chagrin de sa mère s’étaient ainsi réduits et concentrés sur ce point, si négligeable
selon elle, et sur lequel elle pouvait apporter une aide considérable. Elle fit
des projets et des promesses, et poussa sa mère à prendre le plus grand nombre de
dispositions possibles en attendant de connaître de façon plus précise les intentions
de Mr Hale. Margaret ne laissa pas un instant sa mère seule tout au long de
cette journée ; elle s’appliqua de toute son âme à compatir avec elle et partager
toutes les fluctuations de ses sentiments, surtout à l’approche du soir, car elle
souhaitait vivement voir son père accueilli de façon réconfortante à son retour,
après une journée pénible et fatigante. Elle insista sur ce qu’il avait dû endurer
en secret depuis si longtemps ; mais sa mère se borna à répondre avec froideur
qu’il aurait dû la prévenir, car alors, il aurait au moins eu quelqu’un pour le
conseiller. Margaret sentit son cœur se serrer en entendant le pas de son père dans
le vestibule. Elle n’osa pas aller à sa rencontre et lui dire ce qu’elle avait fait
pendant la journée, de peur de contrarier sa mère et de provoquer sa jalousie. Il
s’attardait, comme s’il attendait sa venue, ou un signe d’elle ; et elle n’osa
pas bouger. En voyant les lèvres de sa mère trembler, ses joues changer de couleur,
elle comprit qu’elle aussi l’avait entendu revenir. Il ne tarda pas à ouvrir la
porte et resta dans l’embrasure, comme s’il hésitait à entrer. Il avait le teint
gris et les traits tirés, et dans les yeux une expression timide et craintive, pénible
à voir chez un homme ; mais ce regard où se lisaient l’incertitude, le découragement
et la lassitude physique et morale toucha le cœur de sa femme. Elle s’élança vers
lui et se jeta sur sa poitrine en s’écriant :
— Oh, Richard, Richard, vous auriez dû me prévenir plus
tôt !
Alors, en larmes, Margaret la quitta et se précipita au premier
pour se jeter sur son lit et cacher son visage dans les oreillers afin d’étouffer
les sanglots hystériques auxquels elle donnait enfin libre cours après avoir exercé
sur elle-même toute la journée un contrôle de fer.
Combien de temps elle resta ainsi prostrée, elle l’ignorait.
Elle n’entendit rien, pas même la femme de chambre entrer dans la pièce pour la
ranger. Alarmée, la domestique ressortit sur la pointe des pieds et alla prévenir
Mrs Dixon que Miss Hale pleurait toutes les larmes de son corps :
elle allait se rendre malade, assurément, si elle continuait à pleurer de la sorte.
Le résultat de cette communication fut que Margaret sentit qu’on la touchait et
se redressa pour s’asseoir. Elle vit la chambre familière, et dans l’ombre, la silhouette
de Dixon qui tenait la chandelle légèrement en arrière afin de ne pas éblouir brutalement
Miss Hale, dont les yeux étaient gonflés et aveuglés par les larmes.
— Oh, Dixon ! Je ne vous avais pas entendue entrer !
dit Margaret en s’efforçant de retrouver une
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