Nord et sud
certaine dignité tremblante. Est-il
très tard ?
Elle se redressa d’un geste languissant, et laissa ses pieds
toucher le sol sans vraiment reprendre appui. Puis elle repoussa en arrière ses
cheveux humides et ébouriffés, en essayant de faire comme si de rien n’était, comme
si elle s’était simplement assoupie.
— Je ne saurais pas vous dire au juste l’heure qu’il est,
répondit Dixon d’une voix chagrine. Depuis que votre maman m’a annoncé la terrible
nouvelle, quand je l’ai aidée à s’habiller pour le dîner, j’ai perdu le compte des
heures. Pour sûr, je me demande ce que nous allons devenir. À l’instant, quand Charlotte
est venue me dire que vous étiez en larmes, Mss Hale, je me suis dit : « La
pauvre petite, ce n’est pas étonnant. » Et voilà que Monsieur songe à devenir
dissident, à son âge. Même si on ne peut pas dire qu’il a fait son chemin dans l’Église,
il n’y a pas si mal réussi que ça, après tout. Vous savez, Mss, j’avais un cousin
qui est devenu prédicateur méthodiste à plus de cinquante ans. Toute sa vie, il
avait été tailleur ; mais c’est vrai qu’il n’avait jamais su faire un pantalon
correctement ajusté tant qu’il avait été dans le métier, alors il n’y avait pas
de quoi s’étonner. Mais pour Monsieur. Comme je l’ai dit à Madame : « Qu’est-ce
que ce pauvre Mr John aurait pensé ? Jamais cela ne lui a plus que vous
épousiez Mr Hale, mais s’il avait pu savoir qu’on en arriverait là, il aurait
juré et sacré encore plus que d’habitude, ce qui aurait été un tour de force, au
reste ! »
Dixon avait tellement l’habitude de faire des commentaires sur
Mr Hale devant sa maîtresse (qui l’écoutait ou non, selon son humeur), qu’elle
ne remarqua pas que les yeux de Margaret jetaient des éclairs ni que ses narines
se dilataient. Entendre une domestique parler en ces termes de son père devant elle !
— Dixon, dit-elle du ton grave qu’elle prenait lorsqu’elle
était très en colère, et qui évoquait quelque distant tumulte, quelque orage menaçant
grondant au loin. Dixon ! Vous oubliez à qui vous parlez.
Elle se dressa, bien fermement campée sur ses jambes à présent,
et fit face à la femme de chambre sur qui elle fixa un regard pénétrant.
— Je suis la fille de Mr Hale. Sortez ! Quelle
curieuse maladresse de votre part ! Je suis sûre que de vous-même, vous la
regretterez à tête reposée.
Dixon resta dans la pièce une ou deux minutes, hésitante. Margaret
reprit :
— Vous pouvez me laisser, Dixon. Je vous demande de sortir.
Dixon ne savait trop si elle devait se formaliser de la dureté
de ces paroles ou pleurer ; avec sa maîtresse, l’une ou l’autre solution eût
été appropriée. Mais elle se dit : « Elle tient de Mr John,
Miss Margaret ; comme ce pauvre Mr Frederick. D’où ça peut leur venir,
je me le demande ? » et, alors qu’elle se fût vexée en entendant ces paroles
de la bouche de quelqu’un d’un naturel moins hautain et moins résolu, elle fut subjuguée
au point de dire sur un ton mi- humble, mi-offensée :
— Ne puis-je dégrafer votre robe, Miss, et vous coiffer ?
— Non, pas ce soir, je vous remercie.
Et, le visage grave, Margaret la reconduisit avec la chandelle
à la porte, qu’elle verrouilla. Dès lors, Dixon conçut pour elle de l’admiration
et lui obéit. Elle pensa que c’était parce qu’elle ressemblait tellement à ce pauvre
monsieur Frederick ; mais à la vérité, Dixon, comme beaucoup d’autres, appréciait
l’autorité d’une nature énergique et décidée.
Margaret avait besoin de toute l’aide que Dixon était susceptible
de lui donner matériellement, et de son silence pour le reste. Or, pendant quelque
temps, pour bien montrer à sa jeune maîtresse qu’elle se sentait offensée, la femme
de chambre se fit un devoir de lui parler le moins possible. Son énergie se manifesta
donc davantage en action qu’en paroles. Quinze jours ne laissaient pas beaucoup
de temps pour entreprendre un déménagement aussi considérable, ce que Dixon ne manqua
pas de faire remarquer : « Tout autre qu’un gentleman – et même, n’importe
quel autre gentleman... » Mais en voyant l’expression sérieuse et sévère de
Margaret à côté d’elle, elle étouffa le reste de la phrase dans une quinte de toux
et suça docilement les pastilles de marrube que lui donna Margaret afin de calmer
« ce petit chat que
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