Nord et sud
scène natale
Devienne
chère au fils d’un nouvel habitant ;
Quand
les ans successifs verront les laboureurs
Fendre
la glèbe aimée ou tailler les clairières
Et que
se faneront nos mémoires dernières
Sur tout
ce sol qu’entoure un cercle de hauteurs.
Tennyson [14] .
Le dernier jour arriva ; la maison était emplie de caisses
d’emballage, que des carrioles attendant devant la porte d’entrée emmenaient ensuite
à la gare la plus proche. Même la jolie pelouse sur le côté de la maison avait un
aspect négligé à cause des brins de paille que les courants d’air laissaient échapper
par la porte et les fenêtres ouvertes et déposaient pêle-mêle. Éclairées par la
lumière crue et vive que laissaient entrer les fenêtres sans rideaux, les pièces
résonnaient étrangement et avaient déjà perdu leur caractère familier.
Jusqu’au dernier moment, on s’abstint de toucher au boudoir de
Mrs Hale, où Dixon et elle emballaient les vêtements, s’interrompant à chaque
instant pour s’exclamer en découvrant quelque trésor oublié, quelque souvenir de
l’époque où les enfants étaient petits, qu’elles tournaient et retournaient avec
tendresse. Leur travail n’avançait guère. En bas se tenait Margaret, calme et posée,
prête à donner conseils et consignes aux hommes auxquels on avait fait appel pour
assister Charlotte et la cuisinière. Les deux femmes, qui laissaient de temps à
autre couler leurs larmes, se demandaient comment leur jeune maîtresse réussissait
à se contrôler ainsi en ce dernier jour, et arrivèrent à la conclusion qu’après
avoir vécu si longtemps à Londres, elle ne devait plus être très attachée à Helstone.
Margaret se tenait debout, très pâle et silencieuse, observant
tout de ses grands yeux graves, et remarquant chaque détail de ce qui se passait,
même infime. Elles ne se rendaient pas compte que son cœur était près de se briser
pendant tout ce temps, oppressé par une peine que les soupirs ne pouvaient dissiper
ni soulager ; et que seule la concentration permanente de toutes ses facultés
de perception réussissait à l’empêcher de crier de douleur. De plus, si elle se
laissait aller, qui agirait à sa place ? Son père examinait des papiers, des
livres, des registres, etc., dans la sacristie en compagnie du secrétaire du conseil
paroissial ; et quand il rentrerait, il faudrait mettre dans des caisses ses
propres livres, tâche dont lui seul pouvait s’acquitter à sa convenance. De plus,
Margaret n’était pas femme à se laisser aller devant des étrangers, ni même devant
des membres de la maisonnée tels que la cuisinière et Charlotte ! Certainement
pas. Mais lorsque les quatre préposés à l’emballage allèrent enfin dans la cuisine
boire leur thé et prendre quelque nourriture, Margaret abandonna lentement son poste
dans le vestibule, ankylosée par sa longue station debout, et passa dans le salon
nu et caverneux, à peine éclairé par la lumière du crépuscule de ce début de mois
de novembre. Un léger voile de brume grise obscurcissait le paysage sans le cacher
et lui donnait une teinte lilas ; le soleil n’avait pas encore complètement
disparu : un rouge-gorge chantait – peut-être, pensa Margaret, était-ce celui
dont son père lui avait si souvent parlé, son petit compagnon d’hiver pour qui il
avait fabriqué de ses propres mains un abri près de la fenêtre de son bureau. Les
feuilles étaient plus somptueuses que jamais ; le premier gel les ferait toutes
tomber. Déjà, on en voyait sans cesse une ou deux flotter lentement vers le sol,
ambre et or dans les rayons obliques du soleil bas.
Margaret prit l’allée qui menait au mur des poiriers. Elle n’y
était jamais retournée depuis le jour où elle s’y était promenée aux côtés de Henry
Lennox. Là, près de ce buisson de thym, il avait commencé à parler de choses auxquelles
elle ne devait pas penser maintenant. Elle avait regardé cette rose à la floraison
tardive alors qu’elle cherchait quoi lui répondre ; et au milieu de la dernière
phrase de son interlocuteur, elle avait été frappée par la vive beauté des feuilles
ciselées des carottes. Il n’y avait de cela que quinze jours ! Quels changements
depuis ! Où était-il à présent ? À Londres, à rendre ses visites habituelles,
à dîner avec le cercle de Harley Street, ou avec des amis à lui, plus jeunes et
plus gais. Et cependant même qu’elle marchait,
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