Nord et sud
découragement. Mais lorsqu’elle
entendit le pas de son père sur le gravier dehors, elle se releva aussitôt, rejeta
en arrière sa lourde chevelure noire, essuya les quelques larmes qui avaient coulé
sur ses joues à son insu, et se dirigea vers la porte pour lui ouvrir. Il semblait
beaucoup plus abattu qu’elle. Malgré toutes les tentatives de Margaret pour aborder
des sujets susceptibles de l’intéresser, au prix d’un effort auquel elle se croyait
à chaque fois incapable de survivre, ce fut à peine si elle réussit à lui arracher
quelques mots.
— Avez-vous beaucoup marché aujourd’hui ? demanda-t-elle,
voyant qu’il refusait de toucher la moindre bouchée de nourriture.
— Je suis allé jusqu’à Fordham Beeches pour rendre visite
à la veuve Maltby. Elle se désole de n’avoir pu te dire adieu. Elle dit que la petite
Susan guettait ta venue en bas du chemin depuis plusieurs jours. Allons, Margaret,
qu’y a-t-il ?
L’idée de la petite fille à l’attente continuellement déçue,
non par négligence de sa part, mais à cause de l’impossibilité où elle s’était trouvée
de quitter la maison, fut pour la pauvre Margaret la dernière goutte d’eau, et elle
se mit à sangloter comme si son cœur allait se briser. Mr Hale fut aussi perplexe
que peiné devant sa réaction. Il se leva et marcha de long en large dans la pièce.
Margaret essaya de se dominer, mais ne voulut pas reprendre la parole avant d’être
sûre que sa voix ne la trahirait pas. Elle entendit son père parler, comme en aparté.
— C’en est trop. Je ne puis supporter de voir les souffrances
des autres. Je croyais pouvoir endurer les miennes sans faillir. Oh, n’y a-t-il
pas moyen de faire machine arrière ?
— Non, père, dit Margaret d’une voix grave et ferme en le
regardant bien en face. Il est fâcheux de vous savoir dans l’erreur. Il serait infiniment
pire de vous savoir hypocrite.
Elle baissa la voix en prononçant ces derniers mots, comme si
la seule idée de songer à l’hypocrisie, fût-ce un instant, à propos de son père
relevait du manque de respect.
— Et puis, poursuivit-elle, je suis très fatiguée ce soir,
voilà tout. Ne croyez pas que je souffre à cause de ce que vous avez fait, cher
papa. Nous ne pouvons ni l’un ni l’autre en parler ce soir, je pense, dit-elle en
sentant monter malgré elle les larmes et les sanglots. Je ferais mieux de monter
cette tasse de thé à maman. Elle en a bu une très tôt, à un moment où je ne pouvais
aller la voir car j’avais trop à faire, et je suis sûre qu’elle sera contente que
je lui en apporte une autre maintenant.
Inexorablement, l’heure des chemins de fer les arracha le lendemain
matin à Helstone, leur village charmant et bien-aimé. Le départ fut consommé. Ils
ne verraient plus le presbytère tout en longueur, croulant sous les roses des quatre
saisons et les buissons ardents. Sous le soleil du matin qui faisait briller les
vitres des fenêtres ouvrant chacune sur une pièce chérie, il semblait plus intolérablement
familier que jamais. A peine avaient-ils pris place dans la voiture envoyée depuis
Southampton pour les conduire à la gare qu’ils étaient partis pour ne plus revenir.
Le cœur de Margaret se serra et elle essaya d’apercevoir par la portière, une dernière
fois, la vieille tour de l’église, au tournant de la route où elle savait qu’elle
se détachait sur une mer d’arbres ; mais son père eut la même idée, et elle
lui abandonna silencieusement la seule fenêtre d’où l’on pouvait la voir, reconnaissant
qu’il avait, plus que tout autre, le droit de contempler son église. Elle s’adossa
à la banquette et ferma les yeux. Les larmes jaillirent, brillantes, un instant
retenues par les longs cils avant de rouler lentement sur ses joues et de tomber
sur sa robe, inaperçues.
Es devaient faire halte à Londres pour la nuit dans un hôtel
tranquille. La pauvre Mrs Hale pleura pendant presque tout le trajet et le
chagrin de Dixon se manifesta par son extrême mauvaise humeur et son obstination
à éviter que ses jupes ne touchent Mr Hale, qu’elle considérait comme responsable
de toute cette souffrance, et qui ne s’aperçut de rien.
Ils parcoururent les rues familières, longèrent les maisons où
Margaret était souvent allée, les boutiques où elle avait souvent attendu, impatiente,
que sa tante ait fini de prendre quelque décision qui traînait en longueur – ils
croisèrent
Weitere Kostenlose Bücher