Nord et sud
mélancolique, dans le jardin crépusculaire,
humide et triste, où tout tombait, pâlissait et se flétrissait autour d’elle, il
était peut-être, lui, en train de ranger allègrement ses livres de droit après une
journée de labeur satisfaisante, et de se délasser, comme il lui avait raconté qu’il
le faisait souvent, en marchant d’un bon pas dans les jardins du Temple. De là,
il entendait la puissante rumeur diffuse de dizaines de milliers d’hommes affairés,
tout proches mais invisibles, et apercevait, à chaque nouveau tour, les lumières
de la ville qui semblaient surgir des profondeurs du fleuve. Il avait souvent parlé
à Margaret de ces promenades hâtives, dérobées à son travail, entre ses heures d’étude
et le dîner. Il lui en avait parlé dans ses meilleurs moments, lorsqu’il était de
belle humeur ; et l’idée de ces instants volés avait frappé l’imagination de
Margaret. Ici, nul son ne s’élevait. Le rouge-gorge avait disparu dans le vaste
silence de la nuit. De temps à autre, la porte d’un cottage s’ouvrait et se fermait
au loin, comme pour accueillir chez lui le fermier fatigué ; mais ces bruits
lointains étaient très faibles. Le craquement furtif d’un pas sur le tapis de feuilles
mortes de la forêt, au-delà du jardin, résonna, paraissant tout proche. Margaret
savait qu’il s’agissait de quelque braconnier. Pendant ces dernières semaines d’automne,
alors qu’elle était assise dans sa chambre après avoir soufflé la chandelle, perdue
dans la contemplation de la beauté solennelle de la terre et des deux, elle avait
souvent aperçu des braconniers qui sautaient légèrement et sans bruit par-dessus
la clôture du jardin pour traverser rapidement, au clair de lune, la pelouse humide
de rosée avant de disparaître dans l’ombre immobile, de l’autre côté. Leur vie sauvage,
libre et aventureuse, l’avait séduite ; elle se sentait tentée de leur souhaiter
de réussir ; ils ne lui inspiraient aucune crainte. Mais ce soir, elle avait
peur, sans savoir pourquoi. Elle entendit Charlotte fermer les fenêtres et les barricader
pour la nuit sans s’apercevoir qu’il y avait quelqu’un dans le jardin. Une petite
branche – peut-être le bois en était-il pourri, peut-être venait-on de la briser
– tomba lourdement dans la forêt toute proche. Rapide comme Camille [15] ,
Margaret courut vers la fenêtre et frappa au carreau avec une fébrilité et une urgence
qui effrayèrent Charlotte à l’intérieur.
— Ouvrez-moi, ouvrez-moi ! Ce n’est que moi, Charlotte !
Son cœur ne cessa de palpiter que lorsqu’elle se trouva en sécurité
dans le salon, avec ses fenêtres fermées et verrouillées pour la nuit, entourées
par les murs familiers qui la protégeaient. Elle s’était assise sur une caisse d’emballage :
la pièce dégarnie et désolée était froide et funèbre, sans feu ni lumière, hormis
la longue chandelle que Charlotte n’avait pas mouchée. La jeune fille observa Margaret
avec surprise et Margaret, sentant son regard plus qu’elle ne le voyait, se leva.
— J’ai eu peur que vous ne fermiez la porte alors que j’étais
dehors, Charlotte, dit-elle, avec un demi-sourire. Une fois dans la cuisine, vous
ne m’auriez plus entendue, et les grilles qui donnent sur le chemin et dans le cimetière
ont été fermées il y a longtemps.
— Oh, Miss, je n’aurais pas tardé à m’apercevoir de votre
absence. Les hommes auraient eu besoin de vos consignes pour continuer le travail.
J’ai servi votre repas dans le bureau du maître, car c’est la pièce la plus confortable,
enfin, si l’on peut dire.
— Merci, Charlotte. Vous êtes gentille. Je suis désolée
d’avoir à me séparer de vous. Il faudra m’écrire, si jamais je peux vous donner
des conseils ou vous être de quelque utilité. Je serai toujours heureuse d’avoir
des nouvelles de Helstone, vous savez. Je vous promets que je vous enverrai mon
adresse dès que je la connaîtrai.
Le bureau était prêt pour la collation du soir. Un bon feu flambait
dans la cheminée, et sur la table, des chandelles attendaient d’être allumées. Margaret
s’assit sur le tapis devant la cheminée, en partie pour se réchauffer, car l’humidité
du soir imprégnait sa robe et la lassitude la rendait frileuse. Elle avait croisé
les mains autour des genoux afin de garder son équilibre et penchait légèrement
la tête vers sa poitrine. Son attitude exprimait le
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