Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
peu à peu pour le justifier. Parce que les Blancs avaient besoin par intérêt d’asservir les Noirs, ils bâtirent un ensemble de justifications anthropologiques – ces sauvages ne sont-ils pas des sous-humains ? – ou théologiques – le noir n’est-il pas la couleur de l’enfer ? – qui inoculaient dans les esprits un poison durable. Des générations après la fin de l’esclavage, l’actualité le prouve sans cesse, il faut lutter encore pour s’en débarrasser.
L’interminable combat vers l’abolition
Certains intellectuels, lassés de ce qui leur semble une culpabilisation outrée de l’Occident, aiment à noter un autre fait : si les sociétés européennes pratiquèrent longtemps l’esclavage, elles furent aussi les premières à l’abolir. C’est une réalité indéniable. Toutes les autres sociétés qui ont connu l’esclavage s’en sont accommodé et elles ont fini par accepter d’y mettre un terme, parfois très tardivement, sous la pression de l’Occident. Acceptons ce fait. Apportons-y aussi quelques nuances. L’abolition est venue, c’est vrai, mais fort tard. Pendant très longtemps, ce qui frappe surtout, c’est l’indifférence avec laquelle est considéré le sujet. Les seuls à élever la voix au moment de l’adoption du Code noir, ce sont les colons : ils protestent contre ce qui leur paraît être une manifestation inutile de la bureaucratie. Un « code » pour gérer leurs Nègres, et quoi encore ? Qu’on les laisse s’occuper de leurs biens tranquilles !
Quelques décennies plus tard, les Lumières brillent surtout par leur absence. Dans Candide , Voltaire montre qu’il n’est pas insensible à la question : on cite souvent la rencontre entre le héros, en voyage aux Indes, et le pauvre Nègre du Surinam à qui son maître a coupé une main et une jambe. Il désigne son corps mutilé en disant : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. » Comme d’autres de sa génération, Voltaire est ému des conditions de brutalité dans lesquelles l’esclavage s’exerce, mais ne voit rien à redire au système lui-même. Il faut attendre la fin du xviii e siècle et la veille de la Révolution pour qu’enfin il soit remis en cause par quelques nobles esprits, l’abbé Raynal, l’abbé Grégoire, l’écrivain Bernardin de Saint-Pierre ou le philosophe Condorcet, qui participent à la « Société des amis des Noirs ». Et le grand mouvement abolitionniste qui réussira dans un premier temps à interdire la traite, puis l’esclavage lui-même, ne vient pas de France mais d’Angleterre, où il est promu avec ferveur par les quakers.
Ensuite, l’abolition ne fut pas qu’une affaire d’intellectuels blancs. Les esclaves eux-mêmes joueront un grand rôle dans la lutte pour leur affranchissement. On l’a dit, les révoltes ne sont pas si fréquentes, car le système coercitif mis en place pendant des siècles, basé sur la terreur et l’anéantissement des individus, est redoutablement efficace. Il peut être mis en défaut. En 1791, 50 000 des 500 000 esclaves que compte Saint-Domingue, le joyau des colonies d’outre-mer françaises, lancent la bataille. Ils sont bientôt si puissants, sous la bannière du grand chef Toussaint Louverture, qu’en 1793, le représentant sur place de la République française décrète leur émancipation. Et c’est sur proposition des envoyés spéciaux de ce mouvement à la Convention (dont l’ancien esclave Jean-Baptiste Belley, le premier député noir français) que la République vote en 1794 la première abolition totale et fait citoyens tous les habitants des îles, sans distinction de couleur.
Hélas, ce qui a été arraché par les Noirs est vite repris par les Blancs. En 1802, Bonaparte rétablit l’esclavage. Je sais, les défenseurs de l’Empereur trouveront la phrase inexacte, et argueront que les choses sont plus complexes : après avoir signé la paix avec les Anglais, le Premier Consul se contente, dans les possessions qu’il récupère, comme la Martinique, d’avaliser une situation existante. Les colons n’y avaient jamais voulu abandonner l’esclavage. Notons tout de même ces détails : quand il s’agit d’une position défendue par les planteurs, Napoléon leur donne raison. Quand en même temps à Saint-Domingue la révolte d’anciens esclaves continue, il envoie la troupe – un de ses plus grands désastres militaires, d’ailleurs, qui aboutira à
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