Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
fut, lui aussi, un énorme consommateur d’esclaves. On a parlé de l’infâme trafic qui ravagea l’Ouest de l’Afrique. Pendant près de mille ans, les marchands arabes s’entendirent à en saigner la moitié est. Les routes passent par Zanzibar, où les bateaux viennent chercher les cargaisons qui iront alimenter les marchés des grands ports de la péninsule Arabique, ou coupent à travers le Sahara pour remonter jusqu’au Caire, ou au Maghreb. Olivier Pétré-Grenouilleau donne des descriptions de cette « traite transsaharienne » dont l’horreur n’a rien à envier à sa jumelle transatlantique : 3 000 kilomètres à pied, en longue caravane, avec un peu d’eau et une poignée de maïs pour seul viatique.
Il existe aussi, dans l’islam, de très nombreux esclaves blancs. On ne peut oublier la terreur que causèrent durant trois siècles ( xvi e , xvii e et xviii e ) les raids lancés par les « Barbaresques », comme on les appelait, ces pirates partis des régences ottomanes de Tunis ou d’Alger pour rafler tous les malheureux qui avaient le tort de se trouver sur les côtes européennes de la Méditerranée. Un historien américain, Robert Davis 4 , estime à un million le nombre de victimes de ces razzias, que l’on vendait aux locaux ou que l’on envoyait pourrir dans d’anciens établissements de bains – qui nous ont laissé leur nom de bagnes – en attendant leur hypothétique rachat par leurs familles européennes ou par des confréries chrétiennes entièrement dévolues à cette tâche.
L’Empire ottoman avait même systématisé le recours à l’esclavage de chrétiens pour en faire la base de son administration. Tous les ans, selon une pratique appelée le devchirme (la récolte , en turc), des soldats envoyés par le sultan parcouraient les villages chrétiens de l’Empire – par exemple les Balkans, ou encore le pourtour de la mer Noire – pour enlever ou, au mieux, acheter les enfants qui leur semblaient les plus beaux. Amenés à Istanbul, convertis, éduqués, ils étaient destinés à former l’armée d’élite du souverain : les janissaires. Le principe était brutal et simple : en coupant les enfants de leur religion et de leur famille, on était sûr d’en faire des serviteurs d’une loyauté absolue. Tout leur était permis alors, et on en a vu qui montèrent très haut. De nombreux grands vizirs, les Premiers ministres de l’empire, étaient d’anciens esclaves. Par un procédé similaire à celui des janissaires, l’Égypte avait ses mamelouks. Ils régnèrent sur le pays pendant des siècles, jusqu’à leur défaite devant les armées de Bonaparte, à la fin du xviii e . Des esclaves dirigeant un pays, ou devenus les plus proches conseillers du monarque, toutes choses impensables en Occident à pareille époque. Cela n’enlève rien à l’immoralité du système, ni à sa cruauté : le traumatisme d’un enfant de douze ans enlevé par des soldats turcs dans les montagnes serbes ou géorgiennes ne devait pas être moindre que celui de son lointain petit frère, arraché par des marchands à son village d’Afrique. Simplement le petit Africain pouvait être sûr d’une chose dès cet instant fatal : lui ne deviendrait jamais le premier conseiller du roi de France ou d’Angleterre, et ce, pour une raison simple : aucun Noir ne le fut jamais.
Voilà le point où nous voulions venir. Il ne faut pas faire de l’esclavage un mal propre à l’Occident de l’époque moderne. Il faut se souvenir des caractéristiques qui sont les siennes, et particulièrement le racisme qui en fut le fondement. Il donne au système une dimension spécifique. Il ne s’agit pas d’entrer ici dans une dichotomie stupide qui ferait de tous les Blancs des salauds éternels, et des Noirs pris dans leur ensemble des martyrs par essence. Bien des Blancs, on en parlera bientôt, luttèrent ardemment contre l’horreur servile. Et l’immense majorité des victimes de la traite furent vendues par d’autres Noirs, les roitelets et les marchands installés sur la côte qui tirèrent de ce commerce des profits immenses. Les faits sont là, néanmoins : aux Antilles, à la Réunion, à l’île Maurice (pour ce qui concerne la France), l’histoire de l’esclavage fut l’histoire d’un écrasement des Noirs par les Blancs, de la domination d’une couleur de peau sur un autre, et, comme dans tous les systèmes économiques, il fut servi par une idéologie construite
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