Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
l’indépendance d’une partie de l’île et à la création de la république d’Haïti. Toujours est-il que, grâce à cette loi de Bonaparte, il faut attendre encore quarante-six ans et 1848 pour qu’on en ait enfin fini avec l’esclavage en France. On voit à quel point notre pays tenait à l’abolition : il a fallu s’y reprendre à deux fois pour la rendre effective.
Comment on justifiait l’esclavage
Oublions maintenant l’abolition, et reprenons enfin l’histoire par son début. Que l’on ait décidé, en 1848, d’en finir avec un système qui nous semble aujourd’hui l’exact opposé de l’idée même d’humanité, cela nous paraît la moindre des choses. Comment a-t-on fait, durant les trois siècles qui ont précédé, pour le justifier ? On pose rarement la question ; c’est dommage, ce n’est pas la moins intéressante. La grande justification se compte surtout en bénéfices sonnants et trébuchants, c’est entendu. Ils sont immenses. Certains économistes en arrivent à calculer que toute la révolution industrielle qui a fait décoller l’Occident au xix e doit son succès à l’accumulation du capital réalisée dans les siècles précédents grâce au profit tiré de la traite. Quoi qu’il en soit, au xix e , ce sont presque toujours des arguments strictement économiques dont on se sert pour retarder l’abolition : bien sûr, dit candidement le lobby des planteurs, il faut mettre un terme à l’esclavage, c’est une nécessité morale, mais il faut attendre un peu avant d’y arriver car le coût de la mesure serait trop dur et ruinerait notre économie. Le chantage est connu, on l’entend encore pour barrer la route à toutes les réformes sociales.
Auparavant, on avait pu entendre d’autres arguments. On pouvait avoir recours, par exemple, au maquillage de la réalité : c’est la « folklorisation » du quotidien de l’esclave. Les toiles, les estampes représentent le brave Nègre sommeillant sous un cocotier, ou chantant dans son champ de cannes : n’est-il pas le plus heureux ? Le premier travail des abolitionnistes, comme l’abbé Raynal ou Bernardin de Saint-Pierre, consistera à rétablir, dans leurs écrits, l’horreur de la réalité de la traite, ou de la vie réelle des Noirs aux colonies, et cela contribuera peu à peu à faire basculer l’opinion publique, révulsée par ce qu’elle apprend.
Au-dessus de tous les autres, on trouve enfin le vrai grand argument pour défendre l’esclavage : Dieu. Sans doute les chrétiens seront-ils horrifiés de l’apprendre, c’est avant tout en son nom que l’on se débarrassa de tout scrupule pour asservir, durant trois siècles, des millions d’êtres humains. Aujourd’hui, il nous semble évident à tous, chrétiens ou non, que la parole du Christ, véhiculée par le Nouveau Testament, ne peut qu’aller à l’encontre d’une telle déshumanisation. Bossuet, derrière saint Thomas d’Aquin, tenait le raisonnement inverse : dans quelques-unes de ses épîtres, saint Paul prêche aux esclaves d’accepter leur statut puisque la seule vraie libération n’est pas de ce monde, elle vient après la mort. C’est bien la preuve que le grand saint, et donc Celui au nom de qui il parle, accepte l’esclavage.
Pour les pieux esprits du xvii e siècle, une seule chose compte : il faut baptiser tous ces sauvages, c’est ainsi que nous les sauverons ; pour le reste, on peut bien faire d’eux ce que l’on veut. Voilà aussi le sens du Code noir, voilà pourquoi il insiste tant sur les questions religieuses. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’il soulève : ce texte nous apparaît, à raison, comme une abomination. Il est probable qu’en le signant, Louis XIV comme ses contemporains étaient certains de faire œuvre d’humanité : ne sommes-nous pas admirables envers ces pauvres Noirs, en les enlevant à leur monde sauvage, nous les avons sortis des ténèbres du paganisme pour les amener à la lumière du Christ ?
Faut-il, pour autant, faire le procès du christianisme ? Certainement pas sur ce sujet. D’autres chrétiens eurent des positions diamétralement opposées à celle-ci. Dès le xvi e siècle, Paul III, pape, parlant pour les Indiens mais précisant que son texte concernait « toutes les nations », avait clairement condamné l’esclavage, comme inspiré par Satan. N’oublions pas enfin que la plupart des grands mouvements abolitionnistes, tout
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