Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
bourgeoisie d’affaires dont l’arrogante prospérité crispe bien vite la vieille aristocratie.
Sur le plan monétaire, en revanche, les temps restent marqués par un célèbre ratage, celui du nouveau « système » testé par un Écossais, M. Law (en français, on prononce Lass ) : le papier-monnaie. L’idée est bonne, mais notre banquier a voulu aller trop haut, et trop vite. Il gage ses billets sur des placements aux colonies qui paraissent admirables. Les millions volent, les fortunes se bâtissent à la vitesse de l’éclair, on voit, dit-on, des cochers devenir millionnaires, et des millionnaires passer au milliard. Hélas, les placements tardent à donner, la spéculation finit par effrayer et chacun se presse pour récupérer son or. C’est la
banqueroute (1720), catastrophe qui ruine de nombreux individus dans l’immédiat, et pèse à très long terme sur les mentalités collectives : il faudra longtemps pour que les Français acceptent à nouveau de placer leurs économies dans autre chose qu’un bas de laine empli de pièces d’or.
Quand il vient à régner, en 1723, Louis XV n’est encore qu’un adolescent. Il est fort sage à ses débuts, il se marie et, chose étonnante, réussit à être fidèle à sa femme durant dix ans, le temps de lui faire dix enfants : « Toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher », est la seule citation, probablement fausse, qui nous reste de cette brave Marie Leszczynska, reine de France. Puis ce bon Louis prend ce tour qui s’est figé dans la mémoire nationale. Il devient un bel homme gracieux à la perruque poudrée, ami des plaisirs et des femmes, d’innombrables femmes, ses fameuses favorites qui se succèdent et avec qui il n’est jamais ingrat : quand il se lasse de leur couche, comme avec la Pompadour, il les laisse s’occuper à des choses dont elles se piquent, nommer les ministres en charge, régler la diplomatie, régenter en tout point cette chose qui ne l’intéresse qu’épisodiquement : le gouvernement de son royaume.
Soyons fair-play, certains historiens nous aident à nuancer les couleurs de ce portrait pour bonbonnière de style rocaille – c’est le nom du goût de l’époque. Il n’y faut pas que du rose. Il y faut aussi du noir. Louis XV dit « le Bien-Aimé » n’était pas seulement le sauteur que l’on a dit, il pouvait être également froid, calculateur et rancunier. L’homme invente le « secret du roi », ce ministère de l’ombre qui le renseigne sur tous et sur tout, il n’aime que les cabinets noirs, les manœuvres de coulisses et de caniveaux. S’il aime l’amour, il lui arrive aussi de se repentir de « ses vices » dans des accès de bigoterie qui lui font alterner les phases maniaques d’exaltation et de déprime. Si tous les livres, enfin, affirment qu’il n’a jamais prononcé la fameuse phrase qu’on lui prêta plus tard : « Après nous le déluge », tout ce qu’ils racontent concorde à nous faire croire qu’il l’a pensé très fort.
Son règne représente-il, selon le mot de Chateaubriand, « l’époque la plus détestable de l’histoire » ? Bien des choses l’indiquent. S’il réussit, dans la paix, à agrandir son royaume de la Lorraine (héritage de sa femme) et de la Corse (achetée à Gênes), il est moins doué pour la guerre. Il tient à la faire, comme son illustre aïeul Louis XIV, mais même quand il la gagne, il n’en tire rien. Ainsi la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), menée contre l’Autriche et l’Angleterre, aux cotés de la Prusse. On peut l’oublier. Elle a valu au pays la dernière victoire de l’Ancien Régime, Fontenoy (1745), et pas grand-chose d’autre. Louis, vainqueur, veut traiter « en roi et non en marchand », ce qui est élégant mais permet à son allié Frédéric II de tout rafler. De la victoire, il n’est resté à notre pays qu’une expression qu’on prête à Voltaire, et qui est devenue proverbiale : on a pour la première fois « travaillé pour le roi de Prusse ».
À la suite d’un retournement d’alliances, voici le pays engagé dans la meurtrière guerre de Sept Ans, à côté de l’Autriche et contre la Prusse. Elle se joue en Europe, mais aussi dans bien d’autres endroits de la planète, à cause des rivalités coloniales qui opposent la France à un autre ennemi, l’Angleterre. Cette fois-ci le désastre est total. On n’a rien gagné sur les champs de bataille, sinon
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