Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
d’échange, de la verroterie, des tissus, des armes, ils font du cabotage sur les côtes de l’Afrique pour acheter leur cargaison humaine à de riches marchands locaux, qui ont eux-mêmes raflé, ou fait rafler, leur marchandise de plus en plus profondément au cœur du continent et qui l’entassent dans des conditions épouvantables. Cette première phase peut durer des mois, c’est la plus atroce : les équipages sont d’une brutalité renforcée par la nervosité et la peur, les tentatives de fuite ou de révolte sont fréquentes tant que les côtes sont en vue. Les suicides aussi sont courants. Puis vient « le grand passage », c’est-à-dire la traversée, enchaînés à fond de cale – un mort sur dix, on l’a dit. Après un petit temps de repos près du port d’arrivée pour redonner à la marchandise une forme humaine qui permettra de la vendre plus cher, les bateaux finissent le triangle : ils repartent vers leur port de départ les flancs chargés de coton, de tabac, de cannes, toutes ces richesses accumulées grâce au travail d’autres esclaves.
Ce système permet à des familles d’armateurs ou de colons de se constituer des fortunes immenses. Il fait la prospérité de nombreuses villes européennes et le malheur des millions d’êtres qui en furent victimes. Sitôt débarqué, le captif est envoyé au marché. Contrairement à ce qui se fait en Virginie, aux Antilles françaises – Martinique, Guadeloupe, et surtout Saint-Domingue, perle des colonies –, l’esclave est vendu nu. Pourquoi se soucierait-on des pudeurs du bétail ? Puis il ou elle rejoint son maître et sa plantation où il se tuera à petit feu à des travaux harassants, la coupe de la canne, le fonctionnement des chaufferies où l’on fait le sucre ou le rhum, avec un seul jour à lui pour cultiver son minuscule lopin de terre qui permet au maître de le nourrir moins le reste de la semaine. Et avec ça, le fouet, les coups et la survie dans un monde qui a organisé sa propre paranoïa. Les planteurs et les Blancs en général sont une infime minorité par rapport à l’immense masse des esclaves qu’ils ont eux-mêmes fait venir. Ils vivent dans la hantise constante de la révolte ou des fuites et tentent de la conjurer dans un mélange toujours renouvelé de sadisme et d’ingéniosité. Dans l’excellente petite synthèse qu’il a consacré au sujet 2 , l’historien Jean Meyer énumère quelques-unes des inventions essayées par les maîtres sur leurs « meubles » récalcitrants : le cachot, les fers, les mutilations bien sûr, mais aussi d’étranges couronnes de fer garnies de hautes cornes que des malheureux étaient condamnés à porter en permanence pour les empêcher de se cacher dans la broussaille.
Cette sombre histoire se met en place aux Antilles dans la première moitié du xvii e siècle. Elle cesse en 1848. Elle aura donc duré deux siècles. On ne peut, dans ce livre, tourner la page sur cette immense tache sur notre mémoire sans évoquer les quelques réflexions qu’elle suscite.
L’esclavage, plaie universelle
L’esclavage n’est pas une spécialité réservée par l’Europe occidentale au Nouveau Monde qu’elle venait de conquérir. La plupart des sociétés humaines en ont fait usage. L’Afrique le connaissait bien avant l’arrivée du premier Blanc. La Bible ne s’en émeut guère, bien au contraire elle le codifie. Grèce, Rome, pour ne parler que des mondes dont nous nous sentons les héritiers, ont dû leur prospérité au travail servile. Comme on l’a mentionné déjà, et malgré ce que l’on a pu croire, il a survécu sous cette forme tout droit venue de l’Antiquité pendant très longtemps. En Italie, durant la Renaissance, la plupart des grandes familles, comme leurs ancêtres romains, possèdent des esclaves – souvent blancs, d’ailleurs. Dans Une histoire de l’esclavage 3 , Christian Delacampagne rapporte que le dernier acte d’affranchissement d’un individu dans ce qui est aujourd’hui la France a été trouvé dans le Roussillon et date de 1612. Pourtant, depuis un noble édit de Louis X le Hutin, le royaume se targuait de rendre sa liberté à tous les asservis qui y poseraient le pied. C’est ce qui explique en partie, notons-le par parenthèse, pourquoi les Noirs furent si rares dans l’Hexagone durant l’Ancien Régime : les négociants ne voulaient pas être contraints si bêtement d’avoir à les relâcher.
Le monde musulman
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