Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
quiconque, sans jugement, moisir à la Bastille ou dans toute autre prison du roi. En réalité, les deux en usent peu, mais quand ils le font, on en parle bien plus qu’auparavant. Les mentalités, la société, le monde ont changé. La personnalité des souverains n’est pas tout. Qu’aurait fait un Louis XIV en 1788 ? Peut-être pas mieux que son descendant, sans doute encore plus mal. L’Ancien Régime, ce n’est pas seulement un moment d’incompétence royale, c’est un ensemble de forces contraires qui cherchent un point d’équilibre dans un univers bancal et n’y arrivent pas. C’est ce que nous allons étudier maintenant.
Pourquoi l’Ancien Régime a-t-il fini par s’effondrer dans le bruit sourd d’une tête qui tombe dans un panier rempli de son ? Ou, si l’on veut, pourquoi la Révolution ? On n’aura pas la prétention de donner à la question une réponse imparable. Cela fait deux cents ans que des milliers de spécialistes la cherchent sans la trouver. On peut toutefois tenter d’esquisser quelques pistes, ou plutôt montrer comment celles qui ont été suivies sont apparues comme des impasses.
La politique
Le xviii e est passionné de politique, mais la plupart du temps il la fait dans les salons ou dans les livres des philosophes, c’est-à-dire hors de la Cour et de ses clans, qui représentent les cercles du pouvoir. Au sein même du système monarchique, il n’existe qu’un organe qui peut essayer, fort modestement, de faire pièce au roi, c’est le « parlement », ou plutôt « les parlements », il y en a dans chaque grande province. Malgré ce nom, les parlements d’alors n’ont rien à voir avec les nôtres. Il s’agit d’assemblées composées de magistrats, une sorte d’équivalent de nos cours d’appel ou de cassation, à cette différence près que leurs membres ne sont pas des fonctionnaires dans le sens moderne du mot : ils forment la noblesse de robe dont on vient de parler, ils ont acheté leur charge et sont prêts à beaucoup pour qu’elle leur rapporte. Par des moyens divers, on peut se faire de l’argent alors en rendant la justice.
Comme les chambres ont, entre autres attributions, le devoir d’enregistrer les textes édictés par le monarque, il leur arrive à cette occasion de renâcler et même de faire au souverain des « remontrances ». Une partie de l’histoire politique officielle des deux tiers du xviii e siècle tient dans ce face-à-face, qui tourne au feuilleton.
Le roi veut imposer tel ou tel texte, le parlement de Paris murmure, puis se cabre, cela déclenche une crise, alors le roi se fâche, il exile les parlementaires en Bretagne ou ailleurs, en nomme d’autres, et les premiers finissent par revenir. Certaines crises d’autorité royale sont restées fameuses. En 1766, Louis XV décide d’assister à l’improviste à une réunion du Parlement pour lui dire son fait. Il demande à son ministre de lire le discours très sévère qu’il lui a inspiré : la réunion s’appelle « la séance de la flagellation », c’est dire si le discours était cinglant. Un peu plus tard, excédé, le même Louis fait un « coup de majesté », c’est ainsi qu’on appelle un coup d’État quand il est déclenché par le roi lui-même : il dissout les parlements.
Sur le moment, le geste parut à tous les ennemis de l’absolutisme comme le comble de l’horreur liberticide. Pour venir à bout des difficultés de l’époque et sortir du corset étouffant d’un système usé, la vieille institution parlementaire était pourtant bien inadaptée.
Le problème peut venir de son incapacité à se saisir des vrais sujets. Dans la première moitié du siècle, à l’époque du jeune Louis XV, une seule préoccupation domine les esprits, nourrit les haines et les passions, et vire à l’hystérie : la querelle janséniste que l’on rejoue une fois encore, comme au temps de l’abbaye de Port-Royal. Nos parlements sont en première ligne dans la bataille, car la plupart des parlementaires sont de cette tendance. La majorité des évêques est, quant à elle, du côté du pape, bien décidée à venir à bout de cette hérésie. En 1746, la dispute se bloque sur un point particulier : les « billets de confession ». Pour être sûr du salut ultime des âmes, l’archevêque de Paris a eu cette idée ingénieuse : désormais, avant de donner les derniers sacrements, les prêtres devront exiger des mourants un
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