Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
homme ! Comme si on voulait me forcer à ne manger toute ma vie que du dindon ! » Et elle rappelle les sages préceptes avec lesquels elle a été élevée, elle, soixante ans plus tôt : « Si une de nous était restée sans amant… toute la Cour en aurait ri ! » Peut-être Maupassant force-t-il le trait. Il est nouvelliste, pas historien. Il souligne toutefois un fait auquel nous pensons trop peu. De notre point de vue du xxi e siècle, compte tenu de l’histoire qui fut la nôtre dans les années 1960-1970, il est entendu que les jeunes générations sont plus libres que les anciennes, que la libération des mœurs suit forcément le sens d’un progrès constant. La confrontation du xix e et du xviii e nous rappelle que cela n’est pas vrai. Il y a des raisons politiques à cela : si le xix e affecte à ce point cette rigueur bourgeoise et pincée, c’est aussi par réaction au précédent. Dès 1789, le libertinage est associé à l’aristocratie, aux mauvais rois, à ce que l’on appelle désormais la débauche d’une société dont on a voulu se débarrasser. N’empêche, sous ce seul angle, la leçon est sans appel : comparer le siècle qui joue infiniment les « fêtes galantes » de Watteau à celui qui fait un procès à Madame Bovary pour attentat aux bonnes mœurs, c’est faire la preuve qu’il est des domaines où l’on n’avance pas toujours dans le bon sens.
Importance des femmes
Maintenant l’ombre. La belle Pompadour n’en a sans doute jamais eu conscience, elle a rendu un fort mauvais service à son genre en jetant pour longtemps l’opprobre sur un domaine particulier : le rapport au pouvoir.
A priori , son siècle est celui des femmes. La vie intellectuelle, au temps des philosophes, se passe dans les salons. Qui règne sur ces endroits où se font et se défont les réputations, les carrières, les succès ? Des femmes. Les puristes tempéreront l’assertion : de nombreux salons furent aussi tenus par des hommes. Qu’importe. Les noms retenus par la postérité sont presque tous féminins : citons, pour la première moitié du siècle, celui de Mme de Lambert ou celui de Mme de Tencin, redoutable personnage au bras fort long. Elle était – entre autres amants – la maîtresse du Premier ministre du Régent, un cardinal. Ses mardis étaient réservés à ses amis des lettres, Fontenelle, Marivaux, tant d’autres. On lui prête ce mot fort juste : « À la façon dont il nous a traitées, on voit bien que Dieu était un homme. » Dans les années 1750, Mme Du Deffand prend la relève : fameuse est sa rivalité avec Julie de Lespinasse, pauvre jeune fille de province timide et douce qu’elle recueille par charité, et qui bientôt lui vole un à un tous ses invités de marque, les d’Alembert et les Diderot, pour monter, dans sa propre chambre sans grâce, un salon concurrent…
Il ne faut pas se méprendre néanmoins. Ces reines de Paris ont un rôle important, mais qui ne sort jamais de la fonction qui leur est assignée : l’influence. Les femmes font et défont les carrières, mais ce sont toujours les hommes qui en ont les bénéfices. On admire toujours les œuvres de ceux qu’elles recevaient. Qui se souvient des livres qu’elles aussi ont pu écrire ? Ou plutôt de ceux que les mentalités du temps les empêchèrent d’écrire. Parmi les contributeurs de l’ Encyclopédie , nous rappelle André Zysberg, on trouve une seule contributrice : on lui fit écrire un article sur les bébés et un autre intitulé « Falbalas ». Diderot en a écrit 5 000. Rares sont les philosophes qui cherchèrent à repenser clairement la place des femmes dans la société : Condorcet, sans doute sous l’influence de son épouse, la brillante Sophie, est un de ceux-là. Les autres s’accommodèrent fort bien de l’état des choses. Mais au moins le rôle joué par les femmes dans la république des lettres ne fut pas remis en question par les époques suivantes : de grands salons tenus par d’autres femmes continuèrent à jouer leur rôle d’animation de la vie intellectuelle française jusqu’au milieu du xx e siècle.
L’histoire est moins rose pour ce qui concerne un domaine encore plus névralgique : le pouvoir politique.
Notre Pompadour y joue son rôle, en négatif, on l’aura compris. Pendant ses vingt ans à Versailles, son emprise venait des coulisses, mais elle était réelle. La marquise fit et défit les carrières de tel ou
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